Page:Dujardin - Les Lauriers sont coupés, 1887, RI.djvu/8

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— « Rien. »

Disparue. Tout cela par la faute de ce monsieur. Lui :

— « Je vais jusqu’au Théâtre-français ; je veux voir l’heure du spectacle. »

Toujours son spectacle. Allons. Je voudrais pourtant, avant qu’il me quittât, lui conter ma journée d’aujourd’hui. Si gentiment Léa m’a reçu, en le petit salon un peu obscur des rideaux jaunes ; elle avait son peignoir de satin clair ; sous les larges plis soyeux, sa fine taille serrée ; et le grand col blanc, d’où un rose de gorge ; s’approchant à moi, elle souriait ; et sur ses épaules, de sa tête pâlotte et blonde, les cheveux dénoués, en mèches dorées, tombaient ; elle n’est point vieille, la chère, et si mignonne ; dix-neuf ans, vingt peut-être ; elle déclare dix-huit ; exquise fille. Au long négligemment immobile du Palais-royal, au long du Palais nous allons. Elle m’a tendu sa main ; moi, j’ai baisé son front ; très chastement ; sur mon épaule elle s’est penchée, et un instant nous avons demeuré ; au travers des mous satins, dans mes mains, j’avais la douillette chaleur. Comme je l’aime, la très pauvre ! Et tous ces gens qui passent, ici, là, qui passent, ah, ignorants de ces joies, tous ces gens indifférents, ah, quelconques, tous, qui marchent au près de moi.

— « Voici une affiche… » C’est Chavainne. « On commence à huit heures. Décidément, vous ne viendrez pas ? »

— « Mais non. »

— « Au revoir alors ; il faut que je rentre à la maison. »

— « Au revoir. Amusez-vous. »

L’excellent ami… Bon appétit, messieurs… De plaire à cette femme et d’être son amant… Dieu, j’étais avec l’ange… Lui :

— « Vous aussi, amusez-vous, et, surtout, pas de sottises. »