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CHAPITRE XVI


Gilette Destange — comme toutes les femmes de France — connut le supplice des semaines sans lettre venant du Front. L’un de ses fils combattait en Argonne, le second en Champagne. Ces deux provinces étant l’objet d’attaques répétées, ses nerfs passèrent par toute la gamme des inquiétudes et des transes. Son mari, brave homme insouciant, que la guerre n’avait secoué que le jour de la mobilisation, rapportait chaque soir le communiqué. Après l’avoir interprêté à l’aide de petits drapeaux plantés sur une carte Taride, il s’endormait ponctuellement comme sonnait dix heures à Saint-Germain-des-Prés.

Gilette restait méditative sous la lampe, les deux joues dans ses paumes amaigries. Régulièrement elle se levait après quelques minutes de rêveries, et se dirigeait vers un placard dont elle gardait la clé sur elle. Religieusement — ainsi qu’elle l’eût fait pour