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fenêtre, posa son ouvrage et resta pétrifiée, le regard lointain. Les hommes cessèrent tout à coup de parler ; et pendant les premières notes s’immobilisèrent rêveurs. Puis, ils décroisèrent leurs jambes et battirent la mesure, tout en continuant à fumer. Cela fit — dans le silence — comme un piétinement de patrouille qui passe. Quand le piano chanta : « Aux armes citoyens ! Formez vos bataillons ! » les souliers rythmèrent plus énergiquement encore la marche irrésistible et seulement au dernier vers :

— « Qu’un sang impur abreuve nos sillons ! » le jeune St-Cyrien s’exalta.

— Parfaitement qu’on y aille ! On n’a que trop tardé !

Madame Lartineau toute droite dit en écho :

— Du sang ! Il va couler du sang !

Ce n’était ni un recul ni un affolement que ces mots traduisaient chez cette mère cornélienne, c’était une sorte de terreur religieuse, comme doivent en avoir les fidèles dont les dieux exigent des holocaustes sanglants. Elle haletait et contemplait ses fils cherchant à deviner lequel serait marqué du sceau tragique de la gloire. Depuis longtemps elle était familiarisée avec cette perspective de deuil, mais au moment de s’arracher à la tendresse de l’un de ces jeunes hommes, qu’elle avait élevés, un tremblement la secouait et ses pauvres dents s’entrechoquèrent si fort que les causeurs se retournèrent.