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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

dans mon âme, lorsqu’elle m’apprit la nature de mon mal. Je n’avais encore cueilli que les roses d’Amathonte ; le chiendent, le poison et le vert de gris étaient au fond de la boîte à Pandore.

Mon début m’avait attiré quantité de soupirants ; je refusai les avantages qu’ils voulaient me faire ; et dans la crainte de leur communiquer mon mal, je bornai mes faveurs aux nouvelles à la main. J’acquis tant de réputation dans ce métier, qu’à un écu par jour, je gagnai deux cents livres par jour. Mon bureau s’ouvrait à dix heures du matin, se fermait à quatre ; après la comédie, j’allais en ville, où j’avais des pratiques à un louis. J’amassai trente mille livres dans huit mois.

Mes compagnes s’aperçurent de mon commerce ; elles s’ingérèrent d’avoir aussi des bureaux ; comme le soleil luit pour tout le monde, elles m’enlevèrent des pratiques. Ma fatale maladie commençait à m’altérer le teint. Je partis pour Paris, où, dans six semaines, je fus guérie radicalement.

J’étais logée à l’hôtel d’Harcourt, rue de la Harpe ; un poète y occupait un cabinet qui touchait au grenier. Cet homme devint subitement amoureux, il me crut une vestale ; comme la place vaquait, en attendant, je m’amusai du rimeur ; il vint me déclarer poétiquement sa passion par ces vers d’Orosmane à Zaïre :

Je sais vous estimer autant que je vous aime ;
Et sur votre vertu me fier à vous-même.