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LA VILLE SANS FEMMES

Rondelet, râblé, le teint coloré, les cheveux noirs drus et taillés en brosse, ondoyant dans sa démarche comme l’océan en bonasse, caractère vif mais généreux, notre nouveau chef était célèbre pour ses réparties gouailleuses qui fusaient de sa bouche avec une drôlerie d’autant plus piquante qu’il ignorait lui-même combien elles étaient amusantes. Son français zézayant, toujours en lutte avec les h aspirés et en querelle avec les genres, lui faisait dire qu’il avait « manzé des aricots nouvelles » ou bien que « dans les ors d’œuvres figurent les arengs ».

Ici comme dans la vie civile, il se montre d’une probité exemplaire, défendant énergiquement le bien collectif contre toute tentative de camorra, préoccupé seulement de voir à ce que « chacun ait sa juste part ». Extrêmement bon et serviable, il manipule les sauces avec une patience de chartreux, convaincu que « la lumière sera bientôt faite autour de lui ». Il ne tarda pas, en effet, à être libéré.

Deux autres chefs prirent après lui la direction de la cuisine. L’un d’eux possédait aussi un restaurant à Montréal. Celui-ci garda assez longtemps son poste, qu’il quitta finalement pour passer à la cuisine du commandant. Son départ causa des regrets, car, actif et adroit, il avait su se faire aimer. Durant quelques mois ensuite nous eûmes à la direction des fourneaux l’ancien chef d’un bateau italien, un Génois, qui avait toujours l’air de bougonner et de ne pas être content mais qui était, au fond, un type honnête et gentil.