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LA VILLE SANS FEMMES

belle femme m’a quitté et m’a laissé enfin libre. Je suis encore maître de ma vie et je veux en jouir tant que je peux. Ah ! vivre, même si le cœur éprouve quelques instants de nostalgie ! Je n’ai de rancune contre personne. Je bénis celui qui me l’a enlevée… parce que la vie est belle, et je veux la vivre toujours davantage. »

— Pourquoi mets-tu tant d’ardeur à chanter cela ? lui demandai-je.

— Parce que ces mots correspondent exactement à ce qui vient de m’arriver, me dit-il. Et je suis heureux qu’il en soit ainsi. Heureux ! Très heureux !

Et en disant cela, ses yeux se voilent de larmes.

***

Minuit !…

Depuis deux heures déjà les baraques sont éteintes. La nuit de janvier est froide. Du ciel étoilé tombe une sorte de clarté pâle qui détache les contours des arbres.

Les « chauffeurs nocturnes » chargent plus qu’ils peuvent les poêles, qui lancent en l’air d’épaisses colonnes de fumée. Le camp ressemble à une immense usine : les Forges de l’Ennui.

Comme toutes les nuits à pareille heure, tout à coup, arrive de loin, long, strident, aigu, l’écho du sifflet de la locomotive du rapide qui passe à quelques milles du camp et sera demain matin à sept heures à Montréal.

Ce sifflet pénètre le cœur comme la lame froide d’une épée. On a envie de courir après lui, de s’attacher à lui, de le suivre. De le charger d’apporter demain ma-