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LA VILLE SANS FEMMES

sants braqués sur le réseau de fils de fer barbelés qui nous entoure et dont les poteaux de soutien prennent, dans un sinistre jeu de lumière, l’aspect d’innombrables potences prêtes pour une pendaison en masse.

Le silence se prolonge, coupé à intervalles réguliers par les cris des sentinelles qui changent de garde. Un silence absolu, complet, total dans les dix baraques où sont endormis six cents hommes. La nuit avance et les heures se succèdent. Du moins, j’en ai la sensation, mais en haut, le ciel, lui aussi maussade, ne luit ni par lune ni par étoiles et, en bas, nulle horloge ne marque le temps d’une voix argentine. Quant aux montres de poche ou de poignet, on nous les a toutes temporairement confisquées et mises en dépôt chez le capitaine d’habillement du camp, le « quarter master store ».

Il n’y a plus qu’un maître ici, un seul, partout : le silence !

Mais dans l’obscurité de la baraque où nous sommes cadenassés pour la nuit, voici qu’un jeune homme marié depuis quelques mois, couché à côté de moi, me confie à voix basse :

— Je pense à elle. Que fait-elle, à cette minute précise ? Elle qui, tous les soirs, se blottissait contre moi, comme un petit enfant qui veut se mettre à l’abri des mauvais rêves. Dort-elle ou pense-t-elle à moi comme je pense à elle ? Je suis sûr qu’elle ne dort pas…

Ces confidences sont interrompues par un vieillard étendu à ma droite qui émet un ronflement aigu comme une sonnerie de trompette. Agacé, je le pique avec une canne.