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LA VILLE SANS FEMMES

effet de briser le fil du souvenir par lequel le présent se joint au passé et trouve ses prolongements dans ce qu’on appelle l’avenir. On ne sait plus bien si l’on a été et comment l’on a été, si l’on est et comment l’on est, si on va être et comment on sera. Les notions de temps se mêlent, se confondent, se brouillent.

Il faut quand même y voir clair, se ressaisir. Essayons de fixer les images qui semblent vouloir échapper à toute emprise, les impressions les plus récentes, afin de reconstituer un lien entre elles et la réalité dans laquelle je me trouve en ce moment plongé. Me voici, enfermé à double tour de clefs, dans une baraque en bois aux fenêtres garnies de barreaux, qui, pour être menus, ne sont pas moins de fer, au milieu d’une forêt où il y a des arbres, des arbres, à l’infini…

C’est aujourd’hui le 29 juin, l’avant-dernier jour de ce mois de juin qui avait commencé en suscitant une vive appréhension chez tous les Italiens du Canada. L’attitude du Gouvernement de Rome à l’égard de Paris et de Londres devenait de plus en plus menaçante. Les Italiens s’abordaient dans la rue avec une mine préoccupée.

— Croyez-vous que Mussolini déclarera la guerre ?

— À qui ?

— À la France et à l’Angleterre… à cause du pacte de l’Axe…

— Jamais de la vie ! À l’époque de l’assassinat du chancelier Dolfuss, Mussolini a mobilisé deux armées contre l’Allemagne. En 14, il fut un partisan ardent de l’interven-