Page:Dumarsais - Œuvres, t6, 1797.djvu/40

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noncer de jugement, et s’imaginent que l’esprit consiste à juger ; le philosophe croit qu’il consiste à bien juger. Il est plus content de lui-même quand il a suspendu la faculté de se déterminer, que s’il étoit déterminé avant que d’avoir senti le motif propre à la décision. Ainsi il juge et parle moins, mais il juge plus sûrement et parle mieux ; il n’évite point les traits vifs qui se présentent naturellement à l’esprit par un prompt assemblage d’idées qu’on est souvent étonné de voir unies. C’est dans cette prompte liaison que consiste ce que communément on appelle esprit : mais aussi c’est ce qu’il recherche le moins, il préfère à ce brillant le soin de bien distinguer ses idées, d’en connoître la juste étendue et la liaison précise, et d’éviter de prendre le change en portant trop loin quelque rapport particulier que les idées ont entr’elles. C’est dans ce discernement que consiste ce qu’on appelle jugement et justesse d’esprit.

A cette justesse se joignent encore la souplesse et la netteté : le philosophe n’est pas tellement attaché à un système qu’il ne sente toute la force des objections. La plupart des hommes sont si fort livrés à leurs opinions, qu’ils ne prennent pas seulement la peine de pénétrer celles des autres.

Le philosophe comprend le sentiment qu’il rejette, avec la même étendue et la même netteté qu’il entend celui qu’il adopte.

L’esprit philosophique est donc un esprit d’observation et de justesse, qui rapporte tout à ses véritables principes. Mais ce n’est pas