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ASCANIO.

simple, si obscure et si retirée jusqu’alors, cette vie aux jours si calmes et aux nuits si tranquilles, ressemblait à un pauvre lac tout bouleversé par un ouragan. Parfois jusqu’alors elle avait vaguement senti que son âme était endormie et que son cœur était vide, mais elle pensait que cette tristesse lui venait de son isolement, mais elle attribuait cette viduité à ce que, tout enfant, elle avait perdu sa mère ; et voilà que tout à coup, dans son existence, dans sa pensée, voilà que dans son cœur et dans son âme tout se trouvait rempli, mais par la douleur.

Oh ! combien elle regrettait alors ce temps d’ignorance et de tranquillité pendant lequel la vulgaire mais vigilante amitié de dame Perrine suffisait presque à son bonheur, ce temps d’espérance et de foi où elle comptait sur l’avenir comme on compte sur un ami, ce temps de confiance filiale enfin où elle croyait à l’affection de son père. Hélas ! cet avenir maintenant, c’était l’odieux amour du comte d’Orbec ; la tendresse de son père, c’était de l’ambition déguisée en tendresse paternelle. Pourquoi, au lieu de se trouver l’unique héritière d’un noble nom et d’une grande fortune, n’était-elle pas née la fille de quelque obscur bourgeois de la cité, qui l’aurait bien soignée et bien chérie ? Elle eût pu alors rencontrer ce jeune artiste qui parlait avec tant d’émotion et tant de charme, ce bel Ascanio, qui semblait avoir tant de bonheur, tant d’amour à donner.

Mais quand les battemens de son cœur, quand la rougeur de ses joues avertissaient Colombe que l’image de l’étranger occupait depuis trop longtemps sa pensée, elle se condamnait à chasser ce doux rêve, et elle y réussissait en se mettant devant les yeux la désolante réalité : elle avait au reste, depuis que son père s’était ouvert de ses