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ASCANIO.

ment et sans y faire attention, tant elle était troublée, à l’autre extrémité du banc de pierre.

En ce moment dame Perrine, qui était là debout et n’avait pas bougé depuis la mortifiante semonce de Colombe, embarrassée à la fin de son attitude immobile et du silence de sa jeune maîtresse, prit le bras de dame Ruperte, et s’éloigna doucement.

Les deux jeunes gens restèrent seuls.

Colombe, qui avait les yeux fixés sur son livre, ne s’aperçut pas d’abord du départ de sa gouvernante, et pourtant elle ne lisait pas, car elle avait un nuage devant les yeux. Elle était encore exaltée, étourdie. Tout ce qu’elle pouvait faire comme d’instinct, c’était de dissimuler son agitation et de comprimer les battemens précipités de son cœur. Ascanio, lui aussi, était éperdu, et avait éprouvé une douleur si vive en voyant que Colombe voulait le renvoyer, puis une joie si folle quand il avait cru s’apercevoir du trouble de sa bien-aimée, que toutes ces subites émotions, dans l’état de faiblesse où il se trouvait, l’avaient à la fois transporté et anéanti. Il était comme évanoui, et pourtant ses pensées couraient et se succédaient avec une puissance et une rapidité singulières. — Elle me méprise ! Elle m’aime ! se disait-il tour à tour. Il regardait Colombe muette et immobile, et des larmes coulaient sans qu’il les sentît sur ses joues. Cependant, au-dessus de leurs têtes, un oiseau chantait dans les branches. Le vent agitait à peine les feuilles. À l’église des Augustins, l’angelus du soir tintait doucement dans l’air paisible. Jamais soirée de juillet ne fut plus calme et plus silencieuse. C’était un de ces momens solennels où l’âme entre dans une nouvelle sphère, qui renferment vingt ans dans une minute, et