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Page:Dumas.- Grand dictionnaire de cuisine, 1873.djvu/61

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mort. De nos jours, ô profanation ! nous avons assisté à la vente en détail des plus célèbres caves parisiennes. Ceux mêmes qui les avaient fondés, ces précieux entrepôts de la gaieté, de la verve, de l’esprit — disons-le — de l’amour des hommes, ceux-là mêmes faisaient entrer dans leurs caves déshonorées l’huissier-priseur, ce triste convive qui déguste les vins sans les boire et tout simplement pour savoir l’argent qu’il en faut demander. Les bons vins, la liqueur divine destinée aux amis, aux poëtes, aux belles personnes, aux douces joies du foyer domestique, le propriétaire avare les faisait vendre pour en avoir de l’argent ! De l’argent pour remplacer tant de sourires, tant de vivats, tant d’aimables regards, tant d’espérances presque accomplies, tant de lèvres amoureuses doucement humectées ! Tirées de leur obscurité et de leur paix profonde, ces dives bouteilles, encore toutes couvertes de leur manteau diaphane, filé par l’araignée ou par les fées de Bordeaux, de Mâcon et de la Côte-Rôtie, avaient l’air de se dire : Où allons-nous ? Spectacle affligeant ! triste décadence ! Bas-Empire de la cuisine ! Encore une fois, il est temps que les adeptes remettent en honneur les vraies traditions.

Puisse ce livre rappeler à la France ce grand art qui se perd, l’art qui contient toutes les élégances, toutes les courtoisies, sans lesquelles tous les autres sont inutiles et perdus ; l’art hospitalier par excellence, qui emploie avec un égal succès tous les produits les plus excellents de l’air, des eaux, de la terre : le bœuf de la prairie et l’alouette du champ de blé ; la glace et le feu ; le faisan doré et la pomme de terre ; le fruit et la fleur ; l’or, la porcelaine et les plus suaves peintures ; l’art des quatre saisons de l’année, des quatre âges de la vie de l’homme ; la seule passion, heureuse entre toutes, qui ne laisse après elle ni le chagrin ni le remords. Chaque matin elle renaît plus brillante et plus vive ; elle a besoin de la paix et de l’abondance ; elle se plaît dans les maisons sages, heureuses, bien ordonnées, bienveillantes ; aimable passion, qui peut remplacer toutes les autres, elle est la joie du foyer domestique ; elle se plie à toutes les nécessités de la ville, à toutes les exigences de la campagne. Dans le voyage, elle est la consolation ; dans la santé, la force ; dans la maladie, l’espérance ; comme toutes les sciences heureuses, innocentes, bien faites, cette science