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Page:Dumas.- Grand dictionnaire de cuisine, 1873.djvu/70

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d’hôtel éperdu s’était rendu chez le grand maréchal du palais pour invoquer ses conseils et en appeler à ses bontés.

Duroc, dans sa parfaite tenue, paraissait froid et fier ; mais il n’était ni l’un ni l’autre au fond ; il écouta donc le récit de la scène. Quand il la connut, il sourit et dit à Dunand :

« Vous ne connaissez pas l’Empereur ; si vous voulez m’en croire, vous irez sur-le-champ faire recommencer son déjeuner et le plat de crépinettes ; vous n’êtes pour rien dans cet éclat ; les affaires seules en sont cause. Quand l’Empereur aura fini, il vous demandera son déjeuner. »

Le pauvre maître d’hôtel ne se fit pas prier, et courut faire exécuter ce second déjeuner ; Dunand le porta jusqu’à l’appartement, et Roustan le présenta. Ne voyant pas à ses côtés son affectionné serviteur, Napoléon demanda avec douceur et vivacité où il était et pourquoi il ne le servait pas.

On l’appela.

Il reparut, la figure encore toute pâle, portant dans ses mains tremblantes un magnifique poulet rôti.

L’Empereur lui sourit gracieusement et mangea une aile de ce poulet et un peu de crépinettes, ensuite il fit l’éloge du déjeuner ; puis, faisant signe à Dunand d’approcher, il lui toucha la joue à plusieurs reprises, en lui disant d’un accent ému :

« Monsieur Dunand, vous êtes plus heureux d’être mon maître d’hôtel que je ne le suis d’être le roi de ce pays. »

Et il acheva son déjeuner en silence, les traits profondément affectés.

Quand Napoléon était en campagne, souvent il montait à cheval le matin et n’en descendait pas de la journée. On avait soin alors de mettre dans l’une de ses fontes du pain, du vin, et dans l’autre un poulet rôti.

En général, il partageait ses provisions avec un de ses officiers encore plus mal approvisionné que lui.

L’influence de son premier protecteur, Barras, qui, dans quelque circonstance que ce fût, mangeait toujours longuement et tranquillement, ne se fit point ressentir chez lui.

J’ai dîné deux fois chez Barras. Il y a trop longtemps, et j’attachais trop peu d’importance au menu d’un dîner, pour me