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Du choix de ton époux ; — puis nous lui jurerons,
Quel qu’il soit, d’obéir, et nous obéirons.

(Tous les yeux se tournent vers Monaldeschi.)
CHRISTINE.

Oui, tu dis vrai, mon père, et la voix de ta bouche,
Comme la voix de Dieu, me convainc et me touche ;
Oui, tu dis vrai, mon père, — et depuis bien longtemps
Je nourris un projet ; — qu’on le sache ! il est temps !
Mai finit aujourd’hui sa dernière journée ;
Que le seize de juin de la présente année
Les quatre ordres d’état, à ma voix appelés,
Dans mon palais d’Upsal se trouvent assemblés ;
Là je m’expliquerai.

OXENSTIERN.

Là je m’expliquerai. Bien, ma fille.

CHRISTINE.

Là je m’expliquerai. Bien, ma fille. Mon père,
Allons supplier Dieu que ce jour soit prospère :
Dans son temple venez prier à deux genoux,
Car Dieu seul est puissant. — Vous, messieurs, suivez-nous.

(Tous les courtisans sortent. Monaldeschi reste le dernier, et va vivement à Paula.)

Scène III.

MONALDESCHI, PAULA.
MONADELSCHI.

Sur le premier vaisseau voguant pour l’Italie,
Vous partirez, Paula.

PAULA.

Vous partirez, Paula. Marquis, je vous supplie !

MONADELSCHI.

Vous partirez !…

PAULA.

Vous partirez !… Marquis, au nom du ciel, restez.
Oh ! je veux vous parler un instant, écoutez,
Écoutez-moi !

MONADELSCHI.

Écoutez-moi ! J’écoute.

PAULA.

Écoutez-moi ! J’écoute. Est-ce ma faute, dites…
Si l’effroi m’arracha ces paroles maudites ?
Je vous avais cru mort ; quand je rouvris les yeux,
Je vous revis vivant. — Oh ! mon cœur trop joyeux
D’un bonheur aussi grand ne put porter la charge,
Mon sein pour l’enfermer n’était pas assez large !
Il devait s’exhaler en paroles, en cris ;
Et pour ce crime, — toi, — c’est toi qui me proscris !

MONADELSCHI.

Pourquoi me suivre ici ?

PAULA.

Pourquoi me suivre ici ? Pourquoi ? — pourquoi mon âme
S’en va-t-elle avec toi quand tu t’en vas ?

MONADELSCHI.

S’en va-t-elle avec toi quand tu t’en vas ? Madame !

PAULA.

Monaldeschi, pardonne. — Oh ! si je l’avais su,
Que le moindre soupçon en dût être conçu,
Oui, je serais restée et triste et résignée,
De mon Monaldeschi tout le jour éloignée,
Tout le soir, sans d’un mot accuser sa rigueur,
Comptant chaque seconde aux élans de mon cœur ;
Puis, lorsque tu serais rentré, sur ton visage,
Du sort qui m’attendait épiant le présage,
J’aurais ri, si j’avais vu ton front éclairé,
Et si je l’avais vu triste, j’aurais pleuré !…

MONADELSCHI.

Oui, Paula, vous m’aimez, je le sais…

PAULA.

Oui, Paula, vous m’aimez, je le sais… Anathème !…
Si je ne t’aimais plus ! — Oui, mon seigneur… je t’aime
Comme au jour où mon cœur, cédant à tous tes vœux,
Se fondit en amour dans mes premiers aveux,
Comme au jour où, glissant de ta lèvre à mon âme,
Ton baiser dévorant passa comme une flamme ;
Comme au jour où, pour toi désertant mon pays,
Ma mère et mon devoir furent tous deux trahis.
Eh bien ! souffrant par toi, pour toi, quelquefois ai-je,
Sous ce ciel nébuleux et sur ce sol de neige,
Ai-je, par un soupir, par un mot, regretté
Mon ciel brillant et pur et mon sol enchanté ?
Suis-je, lorsque j’appris qu’aux anges réunie,
Ma mère, dont j’avais fait la longue agonie,
Était, dans sa douleur et dans son abandon,
Morte sans prononcer sur moi le mot pardon ;
Suis-je venue en pleurs et d’une voix amère
Te dire : Tu m’as fait maudire de ma mère ?…

MONADELSCHI.

Non, tu fus bonne et douce.

PAULA.

Non, tu fus bonne et douce. Et lorsque de ta main
Je reçus ces habits, et que, sans examen,
Je les mis, — t’ai-je dit ce que souffrait mon âme ?
Que je devinais tout ;… qu’aux regards d’une femme,
C’était pour me cacher que ton soin déguisait
Mon sexe ? et dans mon cœur l’enfer me le disait
Pourtant ! Non, dans ce cœur palpitaient mes blessures,
Et le sourire encor recouvrait mes tortures,
Et mes accents joyeux te dérobaient mes maux,
Quand j’aurais tout donné pour pleurer à sanglots !
Mon Dieu !…

MONADELSCHI.

Mon Dieu !… Je t’aimais, oui, — Paula, je t’aime encore ;
Mais ne comprends-tu pas quel espoir me dévore ?
Quand à Stockholm, au sein d’une autre nation,
J’apportai les projets de mon ambition,
J’étais loin d’espérer que jamais souveraine
Daignerait m’accueillir sous son manteau de reine :
Elle l’a fait. Sais-tu ce que peut être un jour
L’homme qui de Christine aura surpris l’amour ?
Cet homme, eh bien ! c’est moi : chaque jour enlacée
Dans mes mille replis je la tiens plus pressée ;
Un pas encore, et maître et roi publiquement,
Je m’assieds sur le trône à ma place d’amant.
N’as-tu pas entendu ? maintenant elle implore
La grâce du Seigneur ; mais le nom qu’elle adore
Pour elle vibrera jusque dans le saint lieu,
Et la voix de son cœur sera la voix de Dieu.
Tu parles de douleur, tu parles de torture :
Pour oser en parler, aurais-tu d’aventure