Cent ducats ! — Il n’est pas encor sûr qu’on les tienne.
Dis donc, veux-tu jouer ta part contre la mienne ?
Si je perds, tous mes droits par moi te sont cédés.
Je veux bien. Mais à quoi joûrons-nous ?
En un seul coup, veux-tu ?
L’argent à nous venir n’est pas toujours si leste,
Que l’on puisse risquer cent ducats d’un seul coup.
En trois coups, si tu veux…
Nous n’aurions pas le temps, d’ailleurs.
Hé bien, commence :
En un seul, soit, j’accepte.
Je me suis trompé.
Je te donne le quart et retire l’enjeu.
Non pas, non pas !
Hé bien, dépêche-toi donc. — Quatre !
Un instant, un instant.
Un, deux, trois, quatre.
Cent fois j’aurais gagné : regarde plutôt. — Dix.
Oui, mais il est trop tard, ta perte est avérée :
Une dette de jeu, tu le sais, est sacrée.
Ne parle pas si haut. — Tu ne tiens pas ton or.
Et j’ai perdu le prix d’un sang bien chaud encor.
Quant au remboursement, tu sais qu’il nous regarde…
Mais on vient. — Du silence et tenons-nous en garde.
C’est cent ducats, mon cher, que tu me dois.
Que maudit toit le jeu ! — Je le tûrai pour rien.
Mais, par te ciel ! Clauber, c’est une chose infâme
Que de frapper pour rien le coup qui perd notre âme !…
Scène VII.
Nous avons en délais consumé trop de temps,
Et le traître est sorti depuis quelques instants.
Oh ! s’il ne revient pas, comment me vengerai-je !
Malheur ! Mais non, lui-même a préparé le piége.
Afin de s’échapper au moindre événement,
Tout est là, tout est prêt dans son appartement.
Il faudra qu’il y rentre ; — et pour rentrer, sans doute,
Il passe par ici. — Je serai sur sa route !…
Mes affronts sont restés trop longtemps impunis.
Mort et damnation sur toi !…
Mon fils.
Mais me béniras-tu de même dans une heure ?
J’ai des doutes secrets, je veux le consulter.
Mais si tu me blâmais ! — J’aime encor mieux douter.
Et pourtant j’entends là, comme une voix de l’âme,
Qui redit sourdement : — L’assassin est infâme !…
Si je le rappelais ! — Mais suis-je un assassin ?
N’est-ce pas lui, plutôt ?… — N’eut-il pas le dessein
De rejeter sur moi le soupçon qui l’accable ?…
Il savait que la mort réservée au coupable
En passant près de lui frapperait l’innocent ;
A-t-il craint de s’offrir pour répandre mon sang ?
Non. — Il en avait soif ; — il se chargeait lui-même
Du soin d’exécuter la sentence suprême.
Sans remords, de son crime il m’aurait fait punir.
Et j’aurais des remords !…
D’ailleurs, en le frappant, ma main est innocente ;
Elle cède au pouvoir d’une main plus puissante.
Et ce n’est pas comme eux, pour quelques pièces d’or,
Que je vais le frapper…
Mais pourquoi chercherais-je à mentir à moi-même ?
Est-ce bien pour venger les droits du diadème,
Que ma main aujourd’hui consent à le frapper ?
Non, c’est pour qu’aux bourreaux il ne puisse échapper ;
C’est afin d’égaler sa peine à mon offense,
De lui rendre en un jour mes cinq ans de souffrance,
D’opposer au mépris dont l’orgueil m’accabla
La lame d’un poignard… —
Le voilà ! le voilà !