À cette voix malgré moi j’ai pâli.
Ah !… vous êtes Christine…
Et vous ?
Sentinelli.
Arrière… meurtrier !…
Oh ! si vous descendiez dans le fond de votre âme !
Là vous entendriez la voix qui doit crier
Qui de nous deux, ô reine ! est le vrai meurtrier.
De nous deux ?… Eh ! qui donc a frappé la victime ?
L’avez-vous oublié ?…
L’oubliez-vous aussi ?… Madame, le forfait
N’est pas toujours compté pour celui qui le fait.
Que si vous l’espériez, vous vous êtes trompée ;
Car vous fûtes le bras… je ne fus que l’épée !…
C’est juste… et nous pouvons, meurtriers chancelants,
Toucher nos froides mains, mêler nos cheveux blancs ;
Car le même forfait rend nos têtes tremblantes,
Et c’est du même sang que nos mains sont sanglantes.
Eh bien ! qu’avez-vous fait depuis ce jour fatal ?
Moi ?… j’ai voulu d’abord revoir le sol natal ;
D’oublier le passé j’avais quelque espérance.
Insensé !… Nous étions tous les deux à Florence ;
Là sa jeunesse avec la mienne avait passé ;
Nous nous étions aimés à Florence… insensé !…
Et vous l’avez quittée ?…
Le repos dans mon cœur à Stockholm pouvait naître ;
J’arrivai… de nouveau mes vœux furent trahis.
Le repos… À Stockholm nous nous étions haïs !
Vous partîtes bientôt ?…
Nul ne m’y reconnut, tant deux ans de souffrance
M’avaient changé !… J’allai droit à Fontainebleau,
Et me dis étranger, voulant voir le château…
Mon guide froidement me raconta le crime,
Le nom de l’assassin… celui de la victime…
Je vis la galerie aux Cerfs… le corridor,
Et le parquet, de sang humide et rouge encor.
Et vous avez osé, sans craindre que ses voûtes…
Reconnaissant vos pas, ne s’écroulassent toutes
Sur vous ?… et d’un œil sec vous avez pu souffrir
Cet aspect ?
D’un œil sec !… j’espérais en mourir !
Continuez…
Depuis lors… Un instant Dieu ne m’a point fait trêve :
Je portais le remords… sous son poids j’ai fléchi,
Et puis rapidement mes cheveux ont blanchi.
C’est comme moi…
Que celui qu’à bon droit le monde peut maudire,
À la prière, au jeûne, alors qu’il a recours,
En eux contre ses maux peut trouver un secours.
J’essayai… Chaque jour j’invente des supplices ;
Je déchire mon corps sous le crin des cilices ;
Dans mes brûlantes nuits, de mon lit élancé,
Je cherche le repos sur le marbre glacé ;
Puis je rentre… dans ma cellule solitaire,
Et j’y frappe mon front meurtri contre la terre.
Et dans la solitude, à chaque bruit trompeur,
Lorsque revient la nuit, qu’éprouvez-vous ?
J’ai peur.
C’est comme moi…
Une novice, un jour, passer ainsi qu’une ombre,
Je la suivis des yeux… La première voilà,
Dis-je… que du tombeau sort l’ombre de Paula…
Celle de son amant sans doute va la suivre.
Et je tombai…
Elle est ici… cachant son front à tous les yeux
Sous l’habit de novice.
Qu’elle vive longtemps ! son âge est loin du nôtre.
S’il vivait, il serait de notre âge.
Qui ?…
Maintenant qu’en nos cœurs, qui vont refroidissant
Le feu des passions n’allume plus le sang,
Que de l’autre horizon nous regardons la vie,
Comme notre amitié de haine fut suivie,
Peut-être que de nous le ciel ayant pitié,
À notre haine eût fait succéder l’amitié ;
Peut-être, au lieu de deux que le hasard rassemble,
Dans ce même palais serions-nous trois ensemble,
À cette même place, où sans lui nous voilà :
Vous, où vous êtes… moi, comme je suis… lui, là…
Lui, serrant votre main, et moi serrant la sienne.
Ô vous, qui l’appelez… tremblez-vous pas qu’il vienne ?
Que son ombre, levant la pierre des tombeaux…