Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/206

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st long une toilette de femme ! Si du moins il y avait ici un journal. Ah ! l’album de madame de Vertpré. Une page blanche, un crayon, l’album ouvert… C’est un défi.

pauline, lisant Oh ! N’abrège jamais ces heures que j’envie !

léon, fermant vivement l’album Ah ! c’est vous !

pauline Je vous effraye ?

léon Vous ne le croyez pas.

pauline Qu’écrivez-vous ?

léon Rien.

pauline Des vers ?

léon De souvenir.

pauline Pour qui ?

léon Vous le demandez !

pauline Voyons-les.

léon Mais non.

pauline Mais si, je vous en prie, monsieur Léon ; je me fâche !

léon J’aurais voulu les finir avant de les montrer… à vous surtout, Pauline.

pauline Ce sera votre première pensée, et c’est toujours la meilleure. Elle prend l’album et lit. Oh ! n’abrège jamais ces heures que j’envie ! De me les accorder Dieu te fit le pouvoir : T’entendre est mon bonheur, et te voir est ma vie, Laisse-moi t’entendre et te voir ! répétant. « T’entendre et te voir ! »

léon La poésie a sa langue à elle : on tutoie Dieu, et Dieu ne s’en fâche pas.

pauline C’est vrai elle lui tend la main. et je ne serai pas plus susceptible que lui. elle continue. Si tu veux de mon front écarter le nuage, Comme l’air en passant chasse l’ombre des cieux, Les yeux fixés aux miens, laisse sur mon visage Passer tes longs et noirs cheveux. Comment, monsieur !…

léon Ah ! oui, cieux et cheveux : la rime n’est pas riche, n’est-ce pas ? Je vous disais bien qu’il fallait que ces vers fussent corrigés.

pauline Mais ce n’est pas cela. léon Qu’est-ce donc ?

Pauline Passer tes longs et noirs cheveux. Mes noirs cheveux !

léon Ah ! bénédiction ! elle est blonde ! et d’un blond superbe encore ! Mon Dieu ! mais c’est que…

pauline C’est que ces vers étaient pour une autre, voilà tout.

léon Je vous jure…

pauline Au fait, pourquoi ces vers seraient-ils pour moi ? et pourquoi me feriez-vous des vers ?

léon Mais c’est une distraction inconcevable ; je voulais écrire blonds. Le crayon m’a tourné entre les doigts.

pauline Ah ! oui, longs et blonds. Vous avez raison, monsieur, ces vers ont besoin d’être corrigés, leur harmonie est étrange.

léon Décidément, je m’embrouille. Pauline…

pauline Oh ! faites attention que vous me parlez en prose, monsieur.

léon Mademoiselle… Allons, voilà qu’elle pleure.

pauline Du tout, je ne pleure pas, vous vous trompez.

léon Au diable la poésie ! par exemple, c’est bien la première et la dernière fois… Écoutez-moi. Ces vers…

pauline Mais qui vous parle encore de ces vers ? Mais je n’y pense

léon Je vous en prie, je vous en supplie.

pauline Laissez-moi, vous m’impatientez et je vous déteste ; ne suis-je pas même libre de pleurer si je suis triste ? Mais c’est de la tyrannie. S’élançant dans les bras de madame de Vertpré qui entre. Oh ! ma tante, ma tante !