Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/287

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ANNA.

Je le crois, monsieur.

ROBERTSON.

Qu’il vous suffise de savoir, madame, que le bonheur de deux existences tout entières serait compromis si j’étais reconnu, et je vous dis cela, mistress, parce que deux choses vont arriver : ou nous serons forcés de partir aussitôt l’accouchement…

ANNA.

Mais ce serait risquer de tuer cette jeune dame !


ROBERTSON.

Aussi est-ce la moins probable des deux hypothèses ; ou nous resterons ici jusqu’à son rétablissement.

ANNA.

Oh ! cela vaudrait mieux, mille fois mieux !


ROBERTSON.

Je tâcherai qu’il en soit ainsi ; mais en tout cas, mistress, je désirerais que vous fussiez bien pénétrée de cette vérité, que d’une manière ou de l’autre, la moindre indiscrétion, la moindre, peut faire le malheur de trois personnes ; car l’enfant qui va voir le jour dans un instant serait compris, tout innocent qu’il est de nos fautes, en supposant que nous en ayons commis, dans l’arrêt de proscription qui nous atteindrait.

ANNA.

Soyez parfaitement tranquille, monsieur.

ROBERTSON.

Il se pourrait encore, si nous partions à l’instant… — (Tressaillant.) Oh ! c’est un cri de Caroline !…

ANNA.

Ne craignez rien, mon mari ne la quittera pas.

ROBERTSON.

Et votre mari est instruit, n’est-ce pas ?

ANNA.

Soyez tranquille ; mais allez près d’elle, et plus tard vous me direz…


ROBERTSON.

Moi aller près d’elle ! près d’elle quand elle souffre ! Oh ! je ne pourrais pas voir souffrir Caroline, cet ange ! Qu’est-ce que je vous disais, mistress ?

ANNA.

Vous me parliez de votre enfant.

ROBERTSON.

Oui, je disais qu’il se pourrait, si nous partions à l’instant, ou même si nous restions quinze jours, que la santé de notre enfant ne nous permit pas de l’emmener. Alors, mistress, je vous le confierais comme à une seconde mère. N’est-ce pas, vous auriez soin et pitié du pauvre petit abandonné ? et quatre fois par an, jusqu’au jour où il me serait permis de venir vous le reprendre» vous recevriez on rouleau pareil à celui-ci : serait-ce assez ?

ANNA.

C’est trop, beaucoup trop ; mais, au reste, monsieur, le surplus serait fidèlement conservé, et si un jour quelque accident, ce qu’à Dieu ne plaise, le privait de ses parents, ou privait ses parents de leur fortune, eh bien ! il retrouverait cette petite somme, et moi qui ai déjà perdu deux enfants, je deviendrais sa mère !

ROBERTSON.

Ma bonne madame Grey ! Oh ! l’entendez-vous, l’entendez-vous ?

ANNA.

Rassurez-vous. Et si cet enfant restait près de nous, serait-ce une indiscrétion de vous demander quel nom il devrait porter ?

ROBERTSON.

Si c’est un garçon, Richard ; si c’est une fille, Caroline.

ANNA.

Ce ne sont là que des prénoms.

ROBERTSON.

Comment s’appelle ce village ?

ANNA.

Darlington.

ROBERTSON.

Eh bien ! Richard ou Caroline Darlington ; il est juste qu’il prenne pour nom de famille le nom du village où il en aura trouvé une. — (On entend des plaintes.) Oh ! mistress, mistress, répétez-moi qu’il n’y a pas de danger ! Cette enfant, cet ange, me doit tous ses malheurs. Pour venir à moi elle est descendue de bien haut ! Rang, fortune, famille, elle m’a tout sacrifié. Oh ! je vous en prie, je vous en supplie, secourez-la, allez près d’elle.

ANNA.

Mais venez-y vous-même.

ROBERTSON.

Moi, moi ! j’en sortirais fou ! Oh ! madame Grey, au nom du ciel, je resterai seul, allez, allez ! — (Mistress Grey entre ; Robertson tombe à genoux.) Oh ! devant quelqu’un je n’osais pas prier ! Mon Dieu, mon Dieu ! prenez pitié de nous ! — (Se levant.) Plus rien ! si elle mourait, mon Dieu, sans que je fusse là pour recevoir son dernier soupir !… Oh ! il faut que j’y aille, je ne puis supporter cette incertitude !

CAROLINE, de la chambre.

Robertson ! Robertson !

ROBERTSON, reculant.

Ah !

LE DOCTEUR, entrant en scène.

Où est-il ? où est-il ?

ROBERTSON.

Eh bien !

LE DOCTEUR.

En bien ! bravo, bravo ! un gros garçon.