Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/359

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux rideaux. Gaultier lui baise la main ; elle appelle.) Charlotte ! Charlotte !

CHARLOTTE, derrière les rideaux.

Madame !

MARGUERITE, retirant sa main.

Faites ouvrir les appartements.


Scène II


GAULTIER, PIERREFONDS, SAVOISY, RAOUL, courtisans, puis MARIGNY.
SAVOISY.

Ah ! Gaultier nous avait devancés, et c’est juste… Comment va ce matin la Marguerite des Marguerites… la reine de France, Navarre et Bourgogne ?

GAULTIER.

Je ne sais, messieurs, j’arrive ; j’espérais voir mon frère au milieu de vous… Salut, messieurs, salut ; quelles nouvelles ce matin ?

PIERREFONDS.

Rien de bien nouveau… Le roi arrive demain : il aura une belle entrée dans sa bonne ville. Les ordres sont donnés par messire de Marigny pour que le peuple soit joyeux et crie Noël sur son chemin : en attendant, il crie malédiction sur les bords de la Seine.

GAULTIER.

Et pourquoi ?

SAVOISY.

Le fleuve vient de jeter encore un noyé sur sa rive, et le peuple se lasse de cette étrange pêche.

PIERREFONDS.

Ce sont autant d’anathèmes qui retombent sur ce damné Marigny, qui est chargé de la sûreté de Paris… Ma foi, les morts seront les bien venus si nous pouvons étouffer le premier ministre sous un tas de cadavres.

GAULTIER, remontant vers les courtisans.

Il se passe d’étranges choses !… Personne de vous n’a vu mon frère, messieurs ?

PIERREFONDS.

C’est que si le roi n’y prend pas garde, messeigneurs, il perdra par eau le tiers de sa population, la plus noble et la plus riche. Quel diable de vertige pousse donc nos gentilshommes à pareille fin, bonne au plus pour les jeunes chats et les manants ?

SAVOISY.

Oh ! messeigneurs, iriez-vous croire que ceux qui sortent morts de la Seine y descendent volontairement vivants ? Non pas.

PIERREFONDS.

À moins qu’ils n’y soient menés par des démons et des feux follets, je ne vois pas trop…

SAVOISY.

La rivière est une indiscrète qui ne conserve pas les secrets qu’on lui confie. On a plutôt creusé une tombe dans l’eau que dans la terre : seulement l’eau rejette, et la terre garde. Depuis l’hôtel Saint-Paul jusqu’au Louvre, il y a bien des maisons qui baignent leurs pieds dans l’eau, et bien des fenêtres à ces maisons !

SIRE RAOUL.

Le seigneur de Savoisy a raison, et la tour de Nesle pour son compte…

SAVOISY.

Oui, je suis passé à deux heures du matin au pied du Louvre, et la tour de Nesle était brillante, les flambeaux couraient sur ses vitraux ; c’était une nuit de fête à la tour. Je n’aime pas cette grande masse de pierre qui semble, la nuit, un mauvais génie veillant sur la ville ; cette grande masse immobile, jetant par intervalles du feu par toutes ses ouvertures comme ferait un soupirail de l’enfer, silencieuse sous le ciel noir, avec sa rivière bouillonnante à ses pieds. Si vous saviez ce que le peuple raconte…

GAULTIER.

Messieurs, vous oubliez que c’est une hôtellerie royale.

SAVOISY.

D’ailleurs le roi arrive demain, et le roi, vous le savez, messieurs, n’aime pas les nouvelles qu’il n’a pas faites lui-même. N’est-ce pas, monsieur de Marigny ?

MARIGNY, entrant.

Que disiez-vous d’abord, messieurs ? car il faut que je le sache, afin de pouvoir répondre à votre question.

SAVOISY.

Nous disions que le peuple de Paris était un peuple bien heureux d’avoir le roi Louis X pour roi, et monsieur de Marigny pour premier ministre.

MARIGNY.

Et il y a au moins la moitié de ce bonheur dont il ne jouirait pas longtemps, s’il ne tenait qu’à vous, monsieur de Savoisy.

UN PAGE, annonçant.

La reine, messeigneurs.


Scène III


Les précédents ; LA REINE, pages, gardes, ensuite UN BOHÉMIEN.
LA REINE.

Dieu vous garde, messieurs ; vous savez que le roi, mon seigneur et maître, arrive demain ; ainsi,