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intolérable la pensée qu’un autre est aimé de toi ; si ce que tu as pris pour de l’ambition, pour de la haine, pour de la vengeance ; si tout cela n’était qu’un amour que je n’ai pu éteindre, et qui se reproduisait sous toutes les formes, si je ne voulais monter que pour arriver à toi, si maintenant que je suis arrivé, je ne voulais que toi ; si pour mes anciens droits, mes droits antérieurs aux siens, je te sacrifiais tout ; si en échange d’une de ces nuits où le page Lyonnet se glissait tremblant chez la jeune Marguerite pour n’en sortir qu’au jour naissant, je te rendais ces lettres auxquelles je dois d’être arrivé où je suis ; si je te livrais mes moyens de fortune pour te prouver que ma fortune n’avait qu’un but, que ce but atteint, peu m’importe le reste. Dis, dis, si tu trouvais en moi ce dévouement, cet amour, ne consentirais-tu pas à ce qu’il partît ?

MARGUERITE.

Parles-tu sincèrement, ou railles-tu, Lyonnet ?

BURIDAN.

Un rendez-vous ce soir, et ce soir je te rends tes lettres ; mais non plus, Marguerite, un rendez-vous comme celui de la taverne et de la prison, non plus un rendez-vous de haine et de menaces ; non, non, un rendez-vous d’amour ; un rendez-vous pour ce soir ; et demain, demain, tu pourras les garder et me perdre, puisque tout ce qui fait ma force te sera rendu.

MARGUERITE.

Mais en supposant que j’y consentisse, je ne puis te recevoir ici dans ce palais.

BURIDAN.

N’en sors-tu pas comme tu le veux ?

MARGUERITE.

Puis-je sans me perdre te voir ailleurs ?

BURIDAN.

La tour de Nesle ?

MARGUERITE.

Tu y viendrais ?

BURIDAN.

N’y ai-je pas été déjà sans savoir ce qui m’y attendait ?

MARGUERITE, à part.

Il se livre ! — (Haut.) Écoute, Buridan, c’est une étrange faiblesse ; mais ta vue me rappelle tant de moments de bonheur, ta voix éveille tant de souvenirs d’amour que je croyais morts au fond de mon cœur…

BURIDAN.

Marguerite !…

MARGUERITE.

Lyonnet !…

BURIDAN.

Gaultier partira-t-il demain ?…

MARGUERITE.

Je te le dirai ce soir. — (Lui donnant la clef.) Voici la clef de la tour de Nesle, séparons-nous. — (À part.) Ah ! Buridan, si cette fois tu m’échappes…

(Elle rentre.)
BURIDAN.

C’est la clef de ton tombeau, Marguerite ; mais sois tranquille, je ne t’y renfermerai pas seule.

(Il sort.)



Scène VIII


MARGUERITE, rentrant, puis ORSINI.
MARGUERITE, à demi-voix, allant à une porte latérale.

Orsini ! Orsini !

ORSINI.

Me voici, reine.

MARGUERITE.

Ce soir à la tour de Nesle, quatre hommes armés et vous.

ORSINI.

Avez-vous d’autres ordres ?

MARGUERITE.

Non, pas pour le moment ; je vous dirai là-bas ce que vous aurez à faire. Allez. — (Il sort ; elle se retourne et regarde autour d’elle.) Personne, c’est bien.

(Elle rentre.)



Scène IX


BURIDAN, puis SAVOISY.
BURIDAN, entrant par l’autre porte latérale, un parchemin à la main.

Comte de Savoisy, comte de Savoisy !

SAVOISY, entrant.

Me voici, monseigneur.

BURIDAN.

Le roi a appris avec peine les massacres qui désolent sa bonne ville de Paris ; il suppose avec quelque raison que les meurtriers se réunissent à la tour de Nesle. Ce soir, à neuf heures et demie, vous vous y rendrez avec dix hommes, et vous arrêterez tous ceux qui s’y trouveront, quels que soient leur titre et leur rang ; voici l’ordre.

SAVOISY.

Eh bien ! je n’aurai pas tardé à entrer en fonctions.

BURIDAN.

Et vous pouvez dire que celle-là est une des plus importantes que vous remplirez jamais !

(Il sort par la porte latérale et Savoisy par l’autre.)