Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/389

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souriaient, qui me disaient que j’étais belle, que le monde était à moi, que je pouvais le bouleverser pour un moment de plaisir !… pas de forces pour lutter… des passions, des remords… des nuits pleines de spectres, si elles ne l’étaient de volupté !… Oh ! oui, oui, il n’y a qu’à un complice qu’on puisse dire de pareilles choses !

BURIDAN.

Mais, dis-moi, si près de toi tu avais eu tes fils ?

MARGUERITE.

Oh ! alors, aurais-je osé sous leurs yeux, quand la voix de mes enfants m’eût appelée ma mère ! aurais-je osé faire des projets de meurtre et d’amour ? Oh ! mes fils m’eussent sauvée, ils m’eussent rendue à la vertu peut-être… Mais je ne pouvais garder mes fils ! Ô mes fils !… Oh ! je n’osais pas prononcer ces mots !… car, parmi les spectres que j’ai revus, je n’ai point revu mes fils, et je tremblais en les appelant d’évoquer leurs ombres !

BURIDAN.

Malheureuse ! ils étaient près de toi, et rien ne t’a dit : Marguerite, voilà tes fils !

MARGUERITE.

Près de moi ?

BURIDAN.

L’un d’eux, malheureuse mère, l’un d’eux… tu l’as vu à tes genoux, demandant merci contre le poignard des assassins ! Tu étais là, tu entendais ses prières… et tu n’as pas reconnu ton enfant, et tu as dit : Frappez !

MARGUERITE.

Moi, moi… où cela ?

BURIDAN.

Ici, à cette place où nous sommes.

MARGUERITE.

Ah ! quand ?

BURIDAN.

Avant-hier.

MARGUERITE.

Philippe d’Aulnay ? vengeance de Dieu !

BURIDAN.

Voilà ce qu’est devenu l’un… Marguerite, pense à ce qu’est l’autre.

MARGUERITE.

Gaultier ?

BURIDAN.

L’amant de sa mère !

MARGUERITE.

Oh ! non, non ; grâce au ciel, cela n’est pas, et j’en remercie Dieu, je l’en remercie à genoux… Non, non, je puis encore appeler Gaultier mon fils, et Gaultier peut m’appeler sa mère.

BURIDAN.

Dis-tu vrai ?

MARGUERITE.

Par le sang du martyr qui a coulé là, je te le jure !… Oh ! oui, oui, c’est la main de Dieu qui a dirigé tout cela, qui m’a mis au cœur cet amour bizarre, tout de mère et pas d’amante ! c’est Dieu… Dieu bon, Dieu sauveur qui voulait qu’avec le repentir le bonheur revint dans ma vie !… Oh ! mon Dieu, merci, merci !

(Elle prie.)
BURIDAN.

Eh bien ! Marguerite, me pardonnes-tu, vois-tu encore en moi un ennemi ?

MARGUERITE.

Oh ! non, non, le père de Gaultier !

BURIDAN.

Ainsi ! tu le vois, nous pouvons être heureux encore !… Nos vœux d’ambition sont remplis, plus de lutte entre nous… Notre fils est le lien qui nous attache l’un à l’autre… Notre secret sera enseveli entre nous trois !

MARGUERITE.

Oui, oui !

BURIDAN.

Crois-tu que tu peux encore être heureuse ?

MARGUERITE.

Oh ! si je le crois ! et il y a dix minutes, cependant, je ne l’espérais plus.

BURIDAN.

Une seule chose manque à notre bonheur, n’est-ce pas ?

MARGUERITE.

Notre fils, notre fils là, entre nous deux… notre Gaultier.

BURIDAN.

Il va venir.

MARGUERITE.

Comment !

BURIDAN.

Je lui ai remis la clef que tu m’avais donnée. Il va venir par cet escalier par où je devais venir, moi.

MARGUERITE.

Malédiction ! et comme c’était toi que j’attendais, j’avais placé… damnation !… j’avais placé des assassins sur ton passage !

BURIDAN.

Je te reconnais bien là, Marguerite.

(On entend un cri dans l’escalier.)
MARGUERITE.

C’est lui, lui qu’on égorge !

BURIDAN.

Courons !…

(Ils vont à la porte qu’ils secouent.)
MARGUERITE.

Qui donc a fait fermer cette porte ? Oh ! c’est