Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/585

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mettant le doigt sur sa bouche.

Silence, frère !… Il dort !…

DON JOSÈS, se jetant au cou de Don Juan.

Que je t’embrasse pour cette bonne nouvelle, frère ! Comprends-tu ? Si je n’avais pas reçu cette lettre du digne Don Mortès, mon père mourait sans que je le revisse ; il m’aurait appelé dans son agonie et je n’aurais pas été là pour lui répondre ! La terre aurait recouvert cette face vénérable sans que la dernière expression de ses traits fût restée éternellement en ma mémoire… Oh ! Cela n’était pas possible ! Dieu n’a pas voulu que cela fût… Laisse-moi pleurer, frère, car j’ai le cœur plein de sanglots et de larmes… Oh ! Mon père, mon père, mon digne père !…

DON JUAN, lui passant un bras autour du cou.

Pauvre Josès ! Et tu as ainsi quitté Séville, tes amours enchantées, ta belle Teresina ?

DON JOSÈS.

Tais-toi, Don Juan, tais-toi ; ne parle pas des amours du fils pendant l’agonie du père… Si j’ai quitté Teresina ! Oh ! J’aurais quitté ma vie si j’avais cru que mon âme vînt plus vite ! Est-ce que sa maladie est mortelle ? Est-ce qu’il souffre bien ? T’a-t-il parlé de moi ? S’est-il souvenu de Josès ?

DON JUAN.

Oui, frère, nous avons souvent parlé de toi ensemble… Et tu disais que doña Teresina ?…

DON JOSÈS.

Oh ! Frère ! Elle est belle parmi les belles, comme mon père était bon entre tous… Qu’il eût aimé ma Teresina, mon pauvre père ! Si j’avais pu voir sa bouche se poser sur ses beaux cheveux blancs, comme ces roses des Pyrénées qui fleurissent dans la neige, oh ! J’aurais été heureux, trop heureux !…

DON JUAN.

Et tu l’as abandonnée à Séville, seule et si loin de toi ?

DON JOSÈS.

Non, non !… Elle m’a accompagné jusqu’en Castille ; je l’ai laissée dans notre château de Villa-Mayor ; je ne voulais pas la faire assister à la scène de deuil qui m’attendait ici…

LE COMTE.

Don Josès !

DON JOSÈS.

N’ai-je pas entendu mon nom ? mon père ne m’a-t-il pas appelé ?

DON JUAN.

Non, tu te trompes… Oublieux, tu ne te rappelles donc pas combien de fois, enfants tous deux, nous avons écouté avec effroi le bruit du torrent qui roule au pied de ces murs, et dont l’eau parfois semblait se plaindre, comme une âme errante et qui demande des prières ?

DON JOSÈS.

Oui, c’est vrai ; mais moi seul tremblais… Tu n’avais pas peur, toi, et, tandis que je tombais à genoux, moi, tu chantais quelque vieille ballade impie où l’ennemi du genre humain jouait le principal rôle.

DON JUAN.

Oui, et alors, comme aujourd’hui, esprit dégagé des liens terrestres, tu oubliais les choses les plus nécessaires à la vie, comme de se reposer quand on est las, et de manger quand on a faim. Viens dans cette chambre, Don Josès !… Assieds-toi devant une table, et je te servirai comme je dois le faire, mon aîné, mon seigneur, mon maître… Viens, tu boiras à la santé de ta belle Teresina.

DON JOSÈS.

Oui, tu as raison, j’aurais bien besoin de réparer mes forces : il y a trois jours que je marche sans m’arrêter ; il y a vingt-quatre heures que je n’ai rien pris ; mais, si pendant ce temps, mon père…

DON JUAN.

Je te dis qu’il dort. Viens, viens.

LE COMTE

Don Josès !…

DON JOSÈS.

Oh ! Cette fois, je ne me trompe pas ; dis ce que tu voudras, frère, mais c’est sa voix. Me voilà, père, me voilà !

DON JUAN, le poussant.

Eh bien, va donc !

Maintenant, je te permets de l’embrasser.


Scène V

II. Don Juan, seul d’abord ; puis le bon Ange, puis le mauvais Ange.

DON JUAN, après avoir écouté un instant.

Plus rien, rien que les sanglots de mon frère ; tout est fini !