Scène IV
. Don Juan, Don Josès et le mauvais Ange.
Ils paraissent à la brèche du fond ; la nuit commence à venir.
LE MAUVAIS ANGE.
Par ici, Seigneur Don Josès, par ici !
DON JOSÈS, étonné.
Dans un cloître ?
LE MAUVAIS ANGE.
Votre Seigneurie n’a-t-elle jamais entendu parler d’un certain loup qui s’était fait berger ?… Voilà votre homme.
DON JOSÈS.
Sous ce costume ?
LE MAUVAIS ANGE.
Regardez.
DON JOSÈS, s’élançant par-dessus le mur.
Oui, je le reconnais.
Je te trouve enfin, Don Juan.
DON JUAN, se retournant.
C’est toi, frère ? Sois le bienvenu !
DON JOSÈS.
Je te saluai des mêmes paroles lorsque tu m’apparus au château de Villa-Mayor ; il paraît que, si j’avais oublié de t’inviter à mes fiançailles, tu avais oublié, toi, de m’inviter à ta prise d’habit… Connais-tu ce parchemin ?
DON JUAN.
C’est celui que j’arrachai aux mains mourantes de Don Mortès… Le Seigneur me pardonne !
DON JOSÈS.
Connais-tu cette signature ?
DON JUAN.
C’est celle de notre digne père… Le Seigneur a fait un miracle, sans doute, et je l’en remercie.
DON JOSÈS.
Et sais-tu ce que contient cet écrit ?
DON JUAN.
C’est la reconnaissance de Don Josès, comme fils aîné du comte et comme seigneur de Marana.
DON JOSÈS.
Tu avoues donc que je suis gentilhomme ?
DON JUAN.
Oui, frère.
DON JOSÈS.
Que tu n’es que le second fils, toi ?
DON JUAN.
Oui, frère.
DON JOSÈS.
Et que tu me dois hommage, comme ton aîné ?
DON JUAN.
Je suis prêt à vous le rendre, Monseigneur.
DON JOSÈS.
Ce n’est point cela que je veux !
DON JUAN.
Que voulez-vous ?
DON JOSÈS.
Voici deux épées… Choisis.
DON JUAN.
Et pour quoi faire ?
DON JOSÈS.
Je te montre deux épées, et tu me demandes pourquoi faire ces deux épées ?… Je vais te le dire alors : Parce que je te hais d’une haine de frère !… Parce que la terre est trop étroite pour nous porter plus longtemps tous les deux ! parce que tu dois avoir soif de mon sang comme j’ai soif du tien, et qu’il faut que l’un de nous deux boive celui de l’autre ! Voilà deux épées, te dis-je ! Voilà une tombe prête…
DON JUAN.
Je l’ai creusée pour moi, frère, et, si ce n’est que ma vie qu’il te faut, elle est à toi… Frappe…
DON JOSÈS, prenant une des deux épées.
Si j’avais voulu te tuer comme une bête fauve, c’est une arquebuse que j’aurais prise, et non deux épées… En garde ! Don Juan, en garde !
DON JUAN.
Frère, je te demande pardon à genoux, les yeux en larmes, le front dans la poudre…
DON JOSÈS, le prenant sous le bras.
Debout ! Hypocrite, debout !
DON JUAN.
Je t’obéis !
DON JOSÈS.
Prends une de ces épées.
DON JUAN.
Adieu, frère.
DON JOSÈS.
Où vas-tu ?
DON JUAN.
Laisse-moi aller.
DON JOSÈS.
Te laisser aller, toi !… Mais tu oublies donc ?
DON JUAN.
Si j’avais oublié, je ne serais point ici.
DON JOSÈS.
C’est cela !… Et parce que, lassé de v