Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/634

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que je vinsse, allez… — (S’asseyant.) Et vous, qu’avez-vous fait ?…

ELENA.

Rien aujourd’hui, que les préparatifs nécessaires.

AMY.

Et hier au soir, avez-vous été quelque part ?

ELENA.

Oui, à Drury-Lane…

AMY.

On jouait ?

ELENA.

Hamlet, et le Songe d’une Nuit d’Été…

AMY.

Et qui faisait le personnage d’Hamlet ?… Young ?…

ELENA.

Non, Edmond Kean…

AMY.

Pourquoi ne m’avez-vous pas écrit que c’était votre jour de loge ? je vous aurais demandé une place.

ELENA.

Et je vous l’aurais donnée avec grand plaisir… Kean a été vraiment superbe.

AMY.

Superbe ?

ELENA.

Sublime !… j’aurais dû dire.

AMY.

Quel enthousiasme !

ELENA.

Il vous étonne !… cependant, vous savez que nous autres Italiennes n’avons point de demi-sensations, et ne savons cacher ni notre mépris ni notre admiration.

AMY.

Promettez-moi de ne pas me battre trop fort, je vous dirai une chose.

ELENA.

Dites…

AMY.

Préparez-vous alors à entendre ce qui a jamais été inventé de plus absurde.

ELENA.

Parlez…

AMY.

Je ne sais vraiment comment vous dire cela… c’est si ridicule !

ELENA.

Mais, mon Dieu, qu’est-ce donc ?

AMY.

Personne ne peut nous entendre ?

ELENA.

Vous commencez à m’effrayer, savez-vous ?

AMY.

Eh bien ! je vous dirai que l’on commence à remarquer dans le monde que vous êtes bien assidue à Drury-Lane.

ELENA.

Vraiment ?… Eh bien ! cela doit flatter vos compatriotes, qu’une étrangère soit si dévote à Shakspeare.

AMY.

Oui, mais l’on ajoute que vous n’allez pas a l’église pour prier Dieu… mais pour adorer le prêtre.

ELENA.

Young ?

AMY.

Non.

ELENA.

Macready ?

AMY.

Non.

ELENA.

Kemble ?

AMY.

Kean…

ELENA.

Oh ! la bonne folie… — (Se mordant les lèvres.) Et qui dit cela ?

AMY.

Est-ce que l’on sait qui dit ces sortes de choses ? elles tombent du ciel.

ELENA.

Et il passe toujours une bonne amie qui les ramasse… Alors, je l’aime.

AMY.

À la folie, dit-on…

ELENA.

Et, l’on me blâme ?

AMY.

On vous plaint… Aimer un homme comme Kean !…

ELENA.

Un instant, comtesse !… je n’ai pas fait d’aveu… Et pourquoi n’aimerait-on pas Kean ?

AMY.

Mais, d’abord, parce que c’est un comédien, et que, ces sortes de gens n’étant pas reçus dans nos salons…

ELENA.

Ne doivent pas être reçus dans nos boudoirs… J’ai cependant rencontré M. Kemble dans les appartements du duc d’York.

AMY.

C’est vrai.

ELENA.

Et qui peut fermer à l’un les portes qui s’ouvrent devant l’autre ?

AMY.

Sa réputation affreuse, chère amie…

ELENA.

Vraiment ?