Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/102

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Cette fois, il avait affaire à des compatriotes ; il questionna avec plus de succès.

— Monsieur, demanda-t-il, qu’y a-t-il donc de nouveau à Paris, s’il vous plaît ? — Il y a que vos enragés Parisiens, dit un hussard, veulent avoir leur Necker, et qu’ils nous tirent des coups de fusil comme si cela nous regardait, nous. — Avoir Necker ! s’écria Billot. Ils l’ont donc perdu ? — Certainement, puisque le roi l’a destitué. — Le roi a destitué monsieur Necker ? fit Billot avec la stupeur d’un adepte qui crie au sacrilège ; le roi a destitué ce grand homme ? — Oh ! mon Dieu ! oui, mon brave ; et il y a même plus, ce grand homme est en route pour Bruxelles. — Eh bien ! nous allons rire, en ce cas ! s’écria Billot d’une voix terrible, sans se soucier du danger qu’il courait à faire ainsi de l’insurrection au milieu de douze ou quinze cents sabres royalistes.

Et il remonta encore sur Margot, la poussant avec de cruels talonnements jusqu’à la barrière.

À mesure qu’il s’avançait, il voyait l’incendie gagner et rougir ; une longue colonne de feu montait de la barrière au ciel.

C’était la barrière même qui brûlait.

Une foule hurlante, furieuse, mêlée de femmes, qui, selon l’habitude, menaçaient et criaient plus haut que les hommes, attisait la flamme avec des débris de charpente, les meubles et les effets des commis de l’octroi.

Sur la route, les régiments hongrois et allemands regardaient l’arme au pied cette dévastation, et ne sourcillaient pas.

Billot ne s’arrêta point à ce rempart de flammes. Il lança Margot à travers l’incendie, Margot franchit bravement la barrière incandescente ; mais arrivé à l’autre côté de la barrière, il dut s’arrêter devant une masse compacte de peuple qui refluait du centre de la ville aux faubourgs, les uns chantant, les autres criant : Aux armes !

Billot avait l’air de ce qu’il était, c’est-à-dire d’un bon fermier qui vient à Paris pour ses affaires. Peut-être criait-il un peu haut : Place ! place ! Mais Pitou répétait si poliment après lui : Place ! s’il vous plaît, place ! que l’un corrigeait l’autre. Nul n’avait intérêt à empêcher Billot d’aller à ses affaires : on le laissa passer.

Margot avait retrouvé ses forces ; le feu lui avait roussi le poil ; toutes ces clameurs inaccoutumées la préoccupaient. C’était Billot qui maintenant était obligé de comprimer son dernier effort, dans la crainte d’écraser les nombreux curieux amassés devant les portes, et les curieux non moins nombreux quittant les portes pour courir à la barrière.

Billot s’avança tant bien que mal, tirant Margot à droite, tirant Margot à gauche, jusqu’au boulevard ; mais au boulevard force lui fut de s’arrêter.