Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/167

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Les officiers de la Bastille sentent instinctivement que leurs soldats faiblissent ; ils prennent des fusils et font le coup de feu. En ce moulent, au milieu de ce bruit d’artillerie et de fusillades, au milieu des hurlements de la foule, comme le peuple se précipite de nouveau pour ramasser les morts et se faire une nouvelle arme de ces cadavres qui crieront vengeance par la bouche de leurs blessures, apparaît, à l’entrée de la première cour, une petite troupe de bourgeois calmes, sans armes ; ils fendent la foule et s’avancent prêts à sacrifier leur vie, protégée seulement par le drapeau blanc qui les précède et qui indique des parlementaires.

C’est une députation de l’hôtel de ville ; les électeurs savent que les hostilités sont engagées ; ils veulent arrêter l’effusion du sang, et on force Flesselles à faire de nouvelles propositions au gouverneur. Ces députés viennent, au nom de la ville, sommer monsieur de Launay de faire cesser le feu, et, pour garantir à la fois la vie des citoyens, la sienne et celle de la garnison, de recevoir cent hommes de garde bourgeoise dans l’intérieur de la forteresse.

Voilà ce que répandent les députés sur leur route. Le peuple, effrayé lui-même de l’entreprise qu’il a commencée, le peuple, qui voit passer les blessés et les morts sur des civières, est prêt à appuyer cette proposition ; que de Launay accepte une demi-défaite, il se contentera d’une demi-victoire.

A leur vue le feu de la seconde cour cesse ; on leur fait signe qu’ils peuvent approcher, et ils approchent en effet, glissant dans le sang, enjambant les cadavres, tendant la main aux blessés. A leur abri, le peuple se groupe. Cadavres et blessés sont emportés, le sang reste seul, marbrant de larges taches pourprées le pavé des cours. Du côté de la forteresse, le feu a cessé. Billot sort pour essayer de faire cesser le feu des assiégeants. À la porte, il rencontre Gonchon. Gonchon sans armes, s’exposant comme un inspiré, calme comme s’il était invulnérable.

— Eh bien ! demanda-t-il à Billot, qu’est devenue la députation ? — Elle est entrée à la Bastille, répond Billot ; faites cesser le feu. — C’est inutile, dit Gonchon, avec la même certitude que si Dieu lui eût donné la faculté de lire dans l’avenir. Il ne consentira point. — N’importe, respectons les habitudes de la guerre, puisque nous nous sommes faits soldats. — Soit, dit Gonchon.

Puis, s’adressant à deux hommes du peuple qui semblaient commander sous lui à toute cette masse :

— Allez, Élie, allez, Hullin. dit-il, et que pas un coup de fusil ne soit tiré.