Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/18

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malheur à moi ; mais si demain, par hasard, mon thème était bon, est-ce que vous ne me pardonneriez pas ma mauvaise chance d’aujourd’hui, dites, monsieur l’abbé ? — Voilà trois ans que, tous les jours de composition, tu me répètes la même chose, fainéant ! et l’examen est fixé au 1° novembre ; et moi qui, à la prière de ta tante Angélique, ai eu la faiblesse de te porter comme candidat à la bourse vacante en ce moment au séminaire de Soissons, j’aurai la honte de voir refuser mon élève et d’entendre proclamer partout : Ange Pitou est un âne, Angelus Pitovius asinus est.

Hâtons-nous de dire, afin que tout d’abord le bienveillant lecteur lui porte tout l’intérêt qu’il mérite, qu’Ange Pitou, dont l’abbé Fortier venait de latiniser si pittoresquement le nom, est le héros de cette histoire.

— O mon bon monsieur Fortier ! ô mon cher maître ! répondait l’écolier au désespoir. — Moi, ton maître ! s’écria l’abbé, profondément humilié de l’appellation. Dieu merci ! je ne suis pas plus ton maître que tu n’es mon élève ; je te renie, je ne te connais pas ; je voudrais ne l’avoir jamais vu ; je te défends de me nommer et même de me saluer. Rétro ! malheureux, rétro — Monsieur l’abbé, insista le malheureux Pitou, qui paraissait avoir un grave intérêt à ne pas se brouiller avec son maître ; monsieur l’abbé, ne me retirez pas votre intérêt, je vous en supplie, pour un pauvre thème estropié. — Ah ! s’écria l’abbé, poussé hors de lui par cette dernière prière, et descendant les quatre premières marches, tandis que, par un mouvement égal, Ange Pitou descendait les quatre dernières et commençait à apparaître dans la cour, ah ! tu fais de la logique, quand tu ne peux pas faire un thème ; tu calcules les forces de ma patience, quand tu ne sais pas distinguer le nominatif du régime — Monsieur l’abbé, vous avez été si bon envers moi, répliqua le faiseur de barbarismes, que vous n’aurez qu’un mot à dire à monseigneur l’évêque qui nous examine. — Moi, malheureux ! mentir à ma conscience ! — Si c’est pour faire une bonne action, monsieur l’abbé, le bon Dieu vous pardonnera. — Jamais ! jamais ! — Et puis, qui sait ? les examinateurs ne seront peut-être pas plus sévères envers moi qu’ils ne l’ont été en faveur de Sébastien Gilbert, mon frère de lait, quand, l’année passée, il a concouru pour la bourse de Paris. C’en était cependant un faiseur de barbarismes, celui-là. Dieu merci ! quoiqu’il n’avait que treize ans, et que moi j’en avais dix-sept. — Ah ! par exemple, voilà qui est stupide, dit l’abbé en descendant le reste des marches de l’escalier et en apparaissant à son tour, son martinet à la main, tandis que Pitou maintenait prudemment entre lui et son professeur la distance première. Oui, je dis stupide, ajouta-t-il en se croisant les bras et en regardant avec indignation son écolier. Voilà donc le prix de mes leçons de