Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/190

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Louis, se réfugiait dans un certain doute protecteur que pouvaient éclairer seulement ceux qui le connaissaient.

Voilà le spectacle sur lequel dominait le regard sombre de Gilbert, ce regard toujours observateur et calme, même au milieu des dangers qui étaient personnels à cette puissante organisation.

Hullin, en sortant de la Bastille, avait appelé à lui ses amis les plus sûrs et les plus dévoués, les plus vaillants soldats populaires de cette journée : trois ou deux avaient répondu à son appel, et tentaient de seconder son généreux dessein en protégeant le gouverneur. C’étaient trois hommes dont l’impartiale histoire a consacré le souvenir:ils se nommaient Arné, Chollat et de Lépine.

Ces hommes, précédés, comme nous l’avons dit, par Hullin et Maillard, tentaient donc de défendre la vie d’un homme dont cent mille voix demandaient la mort.

Autour d’eux s’étaient groupés quelques grenadiers des gardes françaises, dont l’uniforme, devenu plus populaire depuis trois jours, était un objet de vénération pour le peuple.

Monsieur de Launay avait échappé aux coups tant que les bras de ses généreux défenseurs avaient pu parer les coups ; mais il n’avait pu échapper aux injures et aux menaces.

Au coin de la rue de Jouy, des cinq grenadiers des gardes françaises qui s’étaient joints au cortège à la sortie de la Bastille, pas un ne restait. Ils avaient, l’un après l’autre, été enlevés sur la route par l’enthousiasme de la foule, et peut-être aussi par le calcul des assassins, et Gilbert les avait vus disparaître l’un après l’autre, comme les boules d’un chapelet qui s’égraine.

Dès lors, il avait prévu que la victoire allait se ternir en s’ensanglantant ; il avait voulu s’arracher à cette table qui lui servait de pavois, mais des bras de fer l’y tenaient rivé. Dans son impuissance, il avait lance Billot et Pitou à la défense du gouverneur, et tous deux, obéissant à sa voix, faisaient tous leurs efforts pour fendre ces vagues humaines et pénétrer jusqu’à lui.

En effet, le groupe de ces défenseurs avait besoin de secours. Chollat, qui n’avait rien mange depuis la veille, avait senti ses forces s’épuiser et était tombé en défaillance ; à grand’peine l’avait-on relevé et empêché d’être foulé aux pieds.

Mais c’était une brèche à la muraille, une rupture à la digue.

Un homme s’élança par cette brèche, et faisant tournoyer son fusil par le canon, il en asséna un coup terrible sur la tête nue du gouverneur.

Mais de Lépine vit s’abaisser la massue; il eut le temps de se jeter les