Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pitou poussa un profond soupir.

Puis il y eut un moment d’intervalle, pendant lequel les cris joyeux des écoliers qui jouaient sur la place du château parvinrent aux oreilles d’Ange Pitou.

Il poussa un second soupir plus profond que le premier.

Quid virtus ? quid religio ? demanda l’abbé.

Ces mots, prononcés avec l’aplomb du pédagogue, retentirent aux oreilles du pauvre Pitou comme la fanfare de l’ange du jugement dernier. Un nuage passa sur ses yeux, et un tel effort se fit dans son intellect, qu’il comprit un instant la possibilité de devenir fou.

Cependant, en vertu de ce travail cérébral qui, si violent qu’il était, n’amenait aucun résultat, la réponse demandée se faisait indéfiniment attendre. On entendit alors le bruit prolongé d’une prise de tabac que humait lentement le terrible interrogateur.

Pitou vit bien qu’il fallait en finir.

Nescio, dit-il, espérant qu’il se ferait pardonner son ignorance en avouant cette ignorance en latin.

— Tu ne sais pas ce que c’est que la vertu ! s’écria l’abbé suffoquant de colère ; tu ne sais pas ce que c’est que la religion ! — Je le sais bien en français, répliqua Ange, mais je ne le sais pas en latin. — Alors, va-t-en en Arcadie, juvenis, tout est fini entre nous, cancre !

Pitou était si accablé qu’il ne fit pas un pas pour fuir, quoique l’abbé Fortier eut tiré son martinet de sa ceinture avec autant de dignité qu’au moment du combat un général d’armée eût tiré son épée du fourreau.

— Mais que deviendrai-je ? demanda le pauvre enfant en laissant pendre à ses côtés ses deux bras inertes ; que deviendrai-je si je perds l’espoir d’entrer au séminaire ? — Deviens ce que tu pourras, cela m’est, pardieu ! bien égal.

Le bon abbé était si courroucé qu’il jurait presque.

— Mais vous ne savez donc pas que ma tante me croit déjà abbé ? — Eh bien ! elle saura que tu n’es pas même bon à faire un sacristain. — Mais, monsieur Fortier ?… — Je te dis de partir : limina linguæ. — Allons ! dit Pitou, comme un homme qui prend une résolution douloureuse, mais enfin qui la prend, voulez-vous me laisser prendre mon pupitre ? demanda Pitou, espérant que pendant ce moment de répit qui lui serait donné, le cœur de l’abbé Fortier reviendrait à des sentiments plus miséricordieux. — Je le crois bien, dit celui-ci. Ton pupitre et tout ce qu’il renferme.

Pitou remonta piteusement l’escalier, car la classe était au premier. Il entra dans la chambre où, réunis autour d’une grande table, faisaient semblant de travailler une quarantaine d’écoliers, souleva avec précaution