Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/221

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Armé de cette déclaration que l’on obtiendra certainement de l’Assemblée, le roi ne peut se dispenser de frapper Paris en bon père, c’est-à-dire sévèrement.

Et alors la tempête s’éloigne, la royauté rentre dans le premier de ses droits ; les peuples reprennent leur devoir, qui est l’obéissance, et tout poursuit sa voie accoutumée.

C’était ainsi que l’on arrangeait, en général, les affaires sur le Cours et sur les boulevards.

Mais devant la place d’Armes et aux environs des casernes, on tenait un autre langage.

Là, on voyait des hommes inconnus à la localité, des hommes au visage intelligent et à l’œil voilé, semant à tout propos les avis mystérieux, exagérant les nouvelles déjà graves, et faisant de la propagande presque publique aux idées séditieuses qui depuis deux mois agitaient Paris et soulevaient les faubourgs.

Autour de ces hommes, des groupes se formaient, sombres, hostiles, animés, composés de gens à qui l’on rappelait leur misère, leurs souffrances, le dédain brutal de la monarchie. Pour les infortunes populaires, on leur disait :

— Depuis huit siècles que le peuple lutte, qu’a-t-il obtenu ? Rien. Pas de droits sociaux ; pas de droits politiques ; celui de la vache du fermier à qui on prend son veau pour le conduire à la boucherie, son lait pour le vendre au marché, sa chair pour la conduire à l’abattoir, sa peau pour la sécher à la tannerie. Enfin, pressée par le besoin, la monarchie a cédé, elle a fait un appel aux états ; mais aujourd’hui que les états sont assemblés, que fait la monarchie ? Depuis le jour de leur convocation, elle pèse sur eux. Si l’Assemblée nationale s’est formée, c’est contre la volonté de la monarchie. Eh bien ! puisque nos frères de Paris viennent de nous donner un si terrible coup de main, poussons l’Assemblée nationale en avant. Chaque pas qu’elle fait sur le terrain politique où la lutte est engagée, est une victoire pour nous : c’est l’agrandissement de notre champ, c’est l’augmentation de notre fortune, c’est la consécration de nos droits. En avant ! en avant ! citoyens. La Bastille n’est que l’ouvrage avancé de la tyrannie ! La Bastille est prise, reste la place !

Dans les endroits les plus obscurs se formaient d’autres réunions, et se prononçaient d’autres paroles. Ceux qui les prononçaient étaient des hommes évidemment appartenant à une classe supérieure, et qui avaient demandé au costume du peuple un déguisement que démentaient leurs mains blanches et leur accent distingué.

— Peuple ! disaient ces hommes, en vérité des deux côtés on t’égare : les uns te demandaient de retourner en arrière ; les autres te poussent en