Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/226

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nom que vos mémoires sont signés. — Sire, c’est un grand bonheur pour moi que Votre Majesté ait si bonne mémoire, quoiqu’à tout prendre j’aie tort d’être si fier. — Comment cela ? — Mon nom a dû être prononcé, il y a peu de temps, en effet, devant Votre Majesté. — Je ne comprends pas. — Il y a six jours que j’ai été arrêté et mis à la Bastille. Or, j’ai entendu dire qu’il ne se faisait pas une arrestation de quelque importance sans que le roi le sût. — Vous à la Bastille ! fit le roi en ouvrant les yeux. — Voici mon certificat d’écrou, sire. Mis en prison, comme j’ai l’honneur de le dire à Votre Majesté, il y a six jours, par l’ordre du roi, j’en suis sorti aujourd’hui à trois heures par la grâce du peuple. — Aujourd’hui ? — Oui, Sire. Votre Majesté n’a-t-elle pas entendu le canon ? — Sans doute. — Eh bien ! le canon m’ouvrait les portes. — Ah ! murmura le roi, je dirais volontiers que j’en suis aise, si le canon de ce matin n’avait pas été tiré sur la Bastille et sur la royauté à la fois. — Oh ! sire, ne faites pas d’une prison le symbole d’un principe. Dites au contraire, sire, que vous êtes heureux que la Bastille soit prise, car on ne commettra plus, au nom du roi qui l’ignore, d’injustice pareille à celle dont je viens d’être victime. — Mais enfin, Monsieur, votre arrestation a une cause. — Aucune que je sache, sire ; on m’a arrêté à mon retour en France, et l’on m’a incarcéré, voilà tout. — En vérité, Monsieur, dit Louis XVI avec douceur, n’y a-t-il pas quelque égoïsme de votre part à venir me parler de vous, quand j’ai tant besoin qu’on me parle de moi ? — Sire, c’est que j’ai besoin que Votre Majesté me réponde un seul mot. — Lequel ? — Oui ou non, Votre Majesté est-elle pour quelque chose dans mon arrestation ? — J’ignorais votre retour en France. — Je suis heureux de cette réponse, sire ; je pourrai donc déclarer hautement que Votre Majesté, dans ce qu’elle fait de mal, est presque toujours abusée, et à ceux qui douteraient, me citer pour exemple.

Le roi sourit :

— Médecin, dit-il, vous mettez le baume dans la plaie. — Oh ! sire, je verserai le baume à pleines mains ; et, si vous le voulez, je la guérirai cette plaie-là ; je vous en réponds. — Si je le veux ! sans doute. — Mais il faut que vous le veuillez bien fermement, sire. — Je le voudrai fermement. — Avant de vous engager plus avant, sire, dit Gilbert, lisez cette ligne écrite en marge de mon registre d’écrou. — Quelle ligne ? demanda le roi avec inquiétude. — Voyez.

Gilbert présenta la feuille au roi. Le roi lut :

«  À la requête de la reine… »

Il fronça le sourcil.

— De la reine ! dit-il ; auriez-vous encouru la disgrâce de la reine ?