Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/240

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nomènes. J’en ai opéré moi-même, eh bien ! je doute. — Comment, vous doutez ? Vous opérez des miracles, et vous doutez ! — Non, je ne doute pas, je ne doute pas. En ce moment, j’ai la preuve d’un pouvoir inouï et inconnu sous les yeux. Mais quand cette preuve a disparu, quand je suis seul chez moi, en face de ma bibliothèque, en face de ce que toute la science humaine a écrit depuis trois mille ans ; quand la science me dit non, je doute. — Et votre maître doutait-il, docteur ? — Peut-être, mais, moins franc que moi, il ne le disait pas. — Était-ce Deslon ? était-ce Puységur ? — Non, sire, non. Mon maître était un homme de beaucoup supérieur à tous les hommes que vous avez nommés. Je lui ai vu faire, à l’endroit des blessures surtout, des choses merveilleuses ; aucune science ne lui était inconnue. Il s’était imprégné des théories égyptiennes ; il avait pénétré les arcanes de l’antique civilisation assyrienne : c’était un savant profond, un philosophe redoutable, ayant l’expérience de la vie unie à la persévérance de la volonté. — L’ai-je connu ? demanda le roi.

Gilbert hésita un instant.

— Je vous demande si je l’ai connu ? — Oui, sire. — Vous le nommez ?… — Sire, dit Gilbert, prononcer ce mot devant le roi, c’est peut-être m’exposer à lui déplaire. Or, en ce moment surtout, où la plupart des Français jouent avec la majesté royale, je ne voudrais pas jeter une ombre sur le respect que nous devons tous à Sa Majesté. — Nommez hardiment cet homme, docteur Gilbert, et soyez persuadé que j’ai aussi, moi, ma philosophie ; philosophie d’assez bonne trempe pour me permettre de sourire à toutes les insultes du présent et à toutes les menaces de l’avenir.

Gilbert, malgré cet encouragement, hésitait encore.

Le roi s’approcha de lui.

— Monsieur, lui dit-il en souriant, nommez-moi Satan si vous voulez, je trouverai contre Satan une cuirasse, celle que vos dogmatiseurs n’ont pas, celle qu’ils n’auront jamais, que seul dans mon siècle peut-être je possède et revêts sans honte : la religion ! — Votre Majesté croit comme saint Louis, c’est vrai, dit Gilbert. — Et là est toute ma force, je l’avoue, docteur ; j’aime la science, j’adore les résultats du matérialisme ; je suis mathématicien, vous le savez ; vous le savez, un total d’addition, une formule algébrique me pénètre de joie ; mais à l’encontre des gens qui poussent l’algèbre jusqu’à l’athéisme, j’ai en réserve ma foi, qui me met d’un degré au-dessus et au-dessous d’eux ; au-dessus pour le bien, au-dessous pour le mal. Vous voyez bien, docteur, que je suis un homme à qui l’on peut tout dire à un roi qui peut tout entendre. — Sire, dit Gilbert avec une sorte d’admiration, je remercie Votre Majesté de ce qu’elle