Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/260

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

écoutez, sentez, touchez, pensez, rêvez ! la vérité est là, Madame, éternellement là, et vous ne la séparerez plus de vous-même, quelques efforts que vous fassiez ! Dormez, dormez pour l’oublier, et elle s’asseoira au chevet de votre lit, et ce sera le fantôme de vos rêves, la réalité de votre réveil. — Oh ! comte, dit fièrement la reine, je sais un sommeil qu’elle ne troublera point. — Celui-là, Madame, dit Olivier, je ne le crains pas plus que Votre Majesté, et peut-être que je le désire autant qu’elle. — Oh ! fit la reine avec désespoir, à votre avis, c’est donc notre seul refuge ? — Oui ; mais ne précipitons rien, Madame, ne marchons pas plus vite que les ennemis, car nous allons tout droit à ce sommeil par les fatigues que nous font tant de jours d’orage.

Et un nouveau silence, plus sombre encore que le premier, pesa sur les deux interlocuteurs.

Ils étaient assis, lui près d’elle, elle près de lui. Ils se touchaient, et cependant entre eux il y avait un abîme immense, leur pensée, leur pensée qui courait divisée sur les vagues de l’avenir.

La reine revint la première au sujet de l’entretien, mais par un détour. Elle regarda fixement le comte ; puis :

— Voyons, Monsieur, dit-elle, un dernier mot sur nous ; et… vous me direz tout, tout, tout, tout, entendez-vous bien ? — J’écoute, Madame. — Vous me jurez que vous n’êtes venu ici que pour moi ? — Oh ! vous en doutez ! — Vous me jurez que madame de Charny ne vous a point écrit ? — Elle ? — Écoutez : je sais qu’elle allait sortir ; je sais qu’elle avait une idée dans l’esprit… Jurez-moi, comte, que ce n’est point pour elle que vous êtes revenu.

En ce moment on frappa ou plutôt on gratta à la porte.

— Entrez, dit la reine.

La femme de chambre reparut.

— Madame, dit-elle, le roi a soupé.

Le comte regarda Marie-Antoinette avec étonnement.

— Eh bien ! dit-elle en haussant les épaules, qu’y a-t-il d’étonnant à cela ? ne faut-il pas que le roi soupe ?

Olivier fronça le sourcil.

— Dites au roi, répliqua la reine sans se déranger, que je reçois des nouvelles de Paris, et que j’irai lui en faire part quand je les aurai reçues.

Puis, se retournant vers Charny :

— Continuons, dit-elle, maintenant que le roi a soupé, il est juste qu’il digère.