Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/274

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par les mêmes motifs que moi ! — Alors, voyons les vôtres. — Les miens ? demanda le roi. — Oui, répondit Marie-Antoinette, les vôtres. — Je n’en ai qu’un. — Dites-le. — Oui ! ce sera bientôt fait. Je ne veux pas engager la guerre avec le peuple, parce que je trouve que le peuple a raison.

Marie-Antoinette fit un mouvement de surprise.

— Raison ! s’écria-t-elle, le peuple a raison de s’insurger ? — Mais oui. — Raison de forcer la Bastille, de tuer le gouverneur, de massacrer le prévôt des marchands, d’exterminer vos soldats ? — Eh ! mon Dieu ! oui. — Oh ! s’écria la reine, voilà vos réflexions, et c’est de ces réflexions-là que vous voulez me faire part ? — Je vous les dis comme elles me sont venues. — En dînant ? — Bon ! dit le roi, voilà que nous allons retomber sur le chapitre de la nourriture. Vous ne pouvez me pardonner de manger ; vous me voudriez poétique et vaporeux. Que voulez-vous ! dans ma famille on mange : non-seulement Henri IV mangeait, mais il buvait sec ; le grand et poétique Louis XIV mangeait à en rougir ; le roi Louis XV, pour être sûr de les manger et de le boire bons, faisait ses beignets lui-même, et faisait faire son café par madame Dubarry. Moi, que voulez-vous ! quand j’ai faim, je ne puis résister ; il faut alors que j’imite mes aïeux Louis XV, Louis XIV et Henri IV. Si c’est une nécessité chez moi, soyez indulgente ; si c’est un défaut, pardonnez-le-moi. — Sire, enfin, vous m’avouerez ?… — Que je ne dois pas manger quand j’ai faim ? non, dit le roi en secouant tranquillement la tête. — Je ne vous parle plus de cela, je vous parle du peuple. — Ah ! — Vous m’avouerez que le peuple a eu tort… — De s’insurger ? pas davantage. Voyons, passons en revue tous nos ministres. Depuis que nous régnons, combien y en a-t-il qui se soient occupés réellement du bonheur du peuple ? Deux : Turgot et monsieur de Necker. Vous et votre coterie me les avez fait exiler. On a fait pour l’un une émeute, peut-être va-t-on faire pour l’autre une révolution. Parlons des autres un peu. Ah ! voilà des hommes charmants, n’est-ce pas ? Monsieur de Maurepas, la créature de mes tantes, un faiseur de chansons ! Ce ne sont pas les ministres qui doivent chanter, c’est le peuple. Monsieur de Calonne ? il vous a dit un mot charmant, je le sais bien, un mot qui vivra. Un jour que vous veniez pour lui demander je ne sais plus quoi, il vous a dit : « Si c’est possible, c’est fait ; si c’est impossible, cela se fera. » Ce mot-là a peut-être coûté cent millions au peuple. Ne vous étonnez donc pas qu’il le trouve un peu moins spirituel que vous ne le trouvez, vous. En vérité, comprenez donc cela, Madame ; si je garde tous ceux qui tondent le peuple, si je renvoie tous ceux qui l’aiment, ce n’est pas un moyen de le calmer, et de l’affriander à notre gouvernement. — Bien ! Alors c’est un droit que l’insurrection ? Proclamez ce principe !