Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/353

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en place de cravate. — Tiens, des orties, pourquoi cela ? — Parce qu’il a dit, à ce qu’il paraît, le scélérat ! que le pain était pour les hommes, le foin pour les chevaux, mais que les orties étaient assez bonnes pour le peuple. — Il a dit cela, le misérable ? — Pardieu ! oui, il l’a dit, monsieur Billot. — Bon ! voilà que tu jures, maintenant. — Bah ! fit Pitou d’un air dégagé, entre militaires ! Enfin, il allait à pied, et on lui bourrait, tout le long de la route, une foule de coups dans les reins et sur la tête. — Ah ! ah ! fit Billot un peu moins enthousiaste. — C’était fort divertissant, continua Pitou ; mais seulement tout le monde ne pouvait pas lui en donner, attendu qu’il y avait plus de dix mille personnes qui criaient derrière lui. — Et ensuite ? dit Billot, qui commençait à réfléchir. — Ensuite, on l’a conduit chez le président du district Saint-Marcel, un bon, vous savez ? — Oui, monsieur Acloque. — Acloque ? c’est justement cela, lequel a ordonné de le conduire à l’hôtel de ville, attendu qu’il ne savait qu’en faire ; de sorte que vous l’allez voir. — Mais comment est-ce toi qui viens annoncer cela, et non le fameux Saint-Jean ? — Mais parce que j’ai des jambes de six pouces plus longues que les siennes. Il était parti avant moi, mais je l’ai rejoint et dépassé. Je voulais vous prévenir, afin que vous prévinssiez monsieur Bailly. — Quelle chance tu as, Pitou ! — J’en aurai encore bien plus demain. — Comment sais-tu cela ? — Parce que le même Saint-Jean, qui a dénoncé monsieur Foulon, a proposé de faire prendre aussi monsieur Berthier, qui est en fuite. — Il sait donc où il est ? — Oui, il paraît que c’était leur homme de confiance, ce bon monsieur Saint-Jean, et qu’il a reçu beaucoup d’argent du beau-père et du gendre, qui voulaient le corrompre. — Et il a pris cet argent ? — Certainement ; l’argent d’un aristocrate est toujours bon à prendre ; mais il a dit : « Un bon patriote ne trahit pas la nation pour de l’argent. » — Oui, murmura Billot ; il trahit ses maîtres, voilà tout. Sais-tu, Pitou, qu’il me paraît une assez grande canaille, ton monsieur Saint-Jean ? — C’est possible, mais n’importe ! on prendra monsieur Berthier comme on a pris maître Foulon, en on les pendra nez à nez tous les deux. La vilaine grimace qu’ils feront en se regardant, hein ? — Et pourquoi les pendra-t-on ? demanda Billot. — Mais parce que ce sont des scélérats et que je les déteste. — Monsieur Berthier, qui est venu à la ferme ! monsieur Berthier, qui, dans ses tournées dans l’Île-de-France, a mangé le lait chez nous, et qui a envoyé de Paris des boucles d’or à Catherine ! Oh ! non, non ! on ne le pendra pas. — Bah ! fit Pitou avec férocité ; c’était un aristocrate, un enjôleur.

Billot regarda Pitou avec stupéfaction. Sous le regard de Billot, Pitou ne put s’empêcher de rougir jusqu’au blanc des yeux.

Tout à coup le digne fermier aperçut monsieur Bailly qui passait de