Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/366

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Pitou, qui avait quitté la berge et qui était remonté sur le quai quand il avait cru que le supplice de Foulon était achevé ; Pitou, épouvanté, malgré sa haine pour monsieur Berthier, coupable à ses yeux, non-seulement de tout ce qu’on lui reprochait, mais encore d’avoir donné des boucles d’or à Catherine, Pitou s’accroupit en sanglotant derrière une banquette.

Pendant ce temps, Berthier, comme s’il se fût agi d’un autre que lui, était entré dans la salle du conseil et causait avec les électeurs.

Il en connaissait la plus grande partie, et même était familier avec quelques-uns.

Ceux-là s’éloignaient de lui avec la terreur qu’inspire aux âmes timides le contact d’un homme impopulaire.

Aussi Berthier se vit-il bientôt à peu près seul avec Bailly et Lafayetfe.

Il se fit raconter tous les détails du supplice de Foulon ; puis, haussant les épaules :

— Oui, dit-il, je comprends cela. On nous hait, parce que nous sommes les outils avec lesquels la royauté a torturé le peuple. — On vous reproche de grands crimes. Monsieur, dit sévèrement Bailly. — Monsieur, dit Berthier, si j’avais commis tous les crimes que l’on me reproche, je serais moins ou plus qu’un homme, un animal féroce ou un démon : mais on me va juger, à ce que je présume, et alors le jour se fera. — Sans doute, dit Bailly. — Eh bien ! continua Berthier, c’est tout ce que je désire. On a ma correspondance, on verra à quels ordres j’ai obéi, et la responsabilité retombera sur qui de droit.

Les électeurs jetèrent les yeux sur la place, d’où s’échappaient d’effroyables rumeurs.

Berthier comprit la réponse.

Alors Billot, fendant la foule qui entourait Bailly, s’approcha de l’intendant, et lui offrant sa bonne grosse main :

— Bonjour, monsieur de Savigny, lui dit-il. — Tiens ! c’est toi, Billot, s’écria Berthier riant et saisissant d’une main ferme la main qui lui était offerte ; tu viens donc faire des émeutes à Paris, mon brave fermier, toi qui vendais si bien ton blé aux marchés de Villers-Cottorets, de Crépy et de Soissons ?

Billot, malgré ses tendances démocratiques, ne put s’empêcher d’admirer la tranquillité de cet homme qui plaisantait ainsi quand sa vie tenait à un fil.

— Installez-vous, Messieurs, dit Bailly aux électeurs, nous allons commencer l’instruction contre l’accusé. — Soit, dit Berthier ; mais je vous avertis d’une chose, Messieurs, c’est que je suis épuisé, depuis