Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/375

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là, monsieur Gilbert ! — Dam ! il faut être conséquent. Tu es venu tout pâle, tout tremblant, toi si brave et si fort, et tu m’as dit : Je suis excédé. Je l’ai ri au visage, Billot, et voilà que quand je t’explique pourquoi tu étais pâle, pourquoi tu étais excédé, c’est toi qui ris de moi à ton tour. — Parlez ! parlez ! mais d’abord laissez-moi l’espoir que je retournerai guéri, consolé, dans mes campagnes. — Les campagnes, écoute, Billot, tout notre espoir est là. La campagne, révolution dormante qui remue tous les mille ans, et qui donne le vertige à la royauté toutes les fois qu’elle remue, la campagne remuera à son tour, lorsque viendra l’heure d’acheter ou de conquérir ces biens mal acquis dont tu parlais tout à l’heure et qui engorgent la noblesse ou le clergé ; mais, pour pousser la campagne à la récolte des idées, il faut pousser le paysan à la conquête de la terre. L’homme, en devenant propriétaire, devient libre, et, en devenant libre, devient meilleur. À nous autres donc, ouvriers privilégiés, pour qui Dieu consent à soulever le voile de l’avenir, à nous le travail terrible qui, après avoir donné au peuple la liberté, lui donnera la propriété. Ici, Billot, bonne œuvre et mauvaise récompense peut-être, mais œuvre active, puissante, pleine de joies et de douleurs, pleine de gloire et de calomnie ; là-bas, sommeil froid et impuissant, dans l’attente d’un réveil qui se fera à notre voix., d’une aurore qui viendra de nous. Une fois la campagne réveillée, notre labeur ensanglanté sera fini, à nous, et son labeur paisible commencera, à elle. — Quel conseil me donnez-vous donc alors, monsieur Gilbert ? — Veux-tu être utile à ton pays, à ta nation, à tes frères, au monde, reste ici, Billot ; prends un marteau et travaille à cet atelier de Vulcain, qui forge des foudres pour le monde. — Rester pour voir égorger, pour en venir peut-être ; égorger moi-même ? — Comment cela, fit Gilbert avec un pâle sourire. Toi égorger. Billot, que dis-tu donc là ? — Je dis que si je reste ici, comme vous m’y invitez, s’écria Billot tout tremblant, je dis que le premier que je verrai attacher une corde à une lanterne, je dis que celui-là je le pendrai avec les mains que voilà.

Gilbert acheva de dessiner son fin sourire.

— Allons, dit-il, tu me comprends, et te voilà égorgeur aussi. — Oui, égorgeur de scélérats. — Dis-moi, Billot, tu as vu égorger de Losme, de Launay, de Flesselles, Foulon et Berthier ? — Oui. — Comment ceux qui les égorgeaient les appelaient-ils ? — Des scélérats. — Oh ! c’est vrai, dit Pitou, ils les appelaient des scélérats. — Oui, mais c’est moi ijui ai raison, dit Billot. — Tu auras raison si tu pends, oui ; mais si tu es pendu, tu auras tort.

Billot baissa la tête sous ce coup de massue ; puis tout à coup la relevant avec noblesse :