Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/394

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Un de ces mots étranges à l’oreille du peuple, ce qui par cela même caresse l’oreille du peuple, un nom qui n’était pas encore une injure, mais qui devait devenir la plus sanglante de toutes ; un mot d’esprit qui se changea plus tard en un mot de sang.

On l’appelait enfin madame Veto.

Ce nom-là devait aller, porté sur l’aile des chansons révolutionnaires, épouvanter en Allemagne les sujets et les amis de ceux qui, en envoyant à la France une reine allemande, avaient le droit de s’étonner qu’on l’injuriât du nom de l’Autrichienne.

Ce nom-là devait accompagner à Paris, dans les rondes insensées, aux jours de massacre, les derniers cris, les agonies hideuses des victimes.

Marie-Antoinette désormais s’appelait madame Veto, jusqu’au jour où elle s’appellerait la veuve Capet.

C’était déjà la troisième fois qu’elle changeait de nom. Après l’avoir appelée l’Autrichienne, on l’avait appelée madame Déficit.

Après les luttes dans lesquelles la reine avait essayé d’intéresser ses amis par l’imminence de leur propre danger, elle avait remarqué seulement que soixante mille passe-ports avaient été demandés à l’hôtel de ville.

Soixante mille notables de Paris et de France étaient partis rejoindre, à l’étranger, les amis et les parents de la reine.

Exemple bien frappant ! qui avait frappé la reine.

Aussi ne méditait-elle point autre chose, à dater de ce moment, qu’une fuite adroitement concertée, qu’une fuite appuyée par la force au besoin, une fuite au bout de laquelle était le salut, après quoi les fidèles restés en France pourraient faire la guerre civile, c’est-à-dire châtier les révolutionnaires.

Le plan n’était pas mauvais. Il eût réussi assurément ; mais derrière la reine veillait aussi le mauvais génie.

Étrange destinée ! Cette femme qui inspira de si grands dévouements ne rencontra nulle part la discrétion.

On sut dans Paris qu’elle voulait fuir, avant qu’elle en fût persuadée elle-même.

À partir du moment où on le sut, Marie-Antoinette ne s’aperçut pas que son plan était devenu impraticable.

Cependant un régiment fameux par ses sympathies royalistes, le régiment de Flandre, arrivait sur Paris à marches forcées.

Ce régiment était demandé par la municipalité de Versailles, qui, excédée par les gardes extraordinaires, par la surveillance obligée autour du château sans cesse menacé, par les distributions de vivres et les émeutes successives, avait besoin d’une autre force que la garde nationale et les milices.