Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/400

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Partout on crie : Vive le roi ! vive la reine ! Tant de fleurs, tant de lumières, tant de feux irisant les voûtes dorées, tant de joyeuses idées illuminant les fronts, tant d’éclairs loyaux jaillissant du front de ces braves ! C’était un spectacle qui eût été bien doux à voir pour la reine, bien rassurant à voir pour le roi.

Ce roi si malheureux, cette reine si triste, que n’assistaient-ils à une pareille fête.

D’officieux serviteurs se détachent, courent chez Marie-Antoinette, lui racontent, lui exagèrent ce qu’ils ont vu.

Alors l’œil éteint de la femme se ranime, elle se soulève. Il y a donc de la loyauté, de l’affection dans les cœurs français.

Il y a donc encore de l’espoir.

La reine jette autour d’elle un regard morne, désolé.

À ses portes commence à circuler le monde des serviteurs. On prie, on conjure la reine de faire visite, rien qu’une apparition dans ce festin où deux mille enthousiastes consacrent, par leurs vivats, le culte de la monarchie.

— Le roi est absent, dit-elle tristement, je ne puis aller seule. — Avec monsieur le dauphin, disent quelques imprudents qui insistent. — Madame, Madame, dit une voix à son oreille, restez ici, je vous en conjure, restez.

Elle se retourne, c’était monsieur de Charny.

— Quoi ! dit-elle, vous n’êtes pas en bas avec tous ces messieurs ? — Je suis revenu, Madame, il y a en bas une exaltation dont les suites peuvent nuire plus qu’on ne croit à Votre Majesté.

Marie-Antoinette était dans un de ses jours de bouderie, de caprice, elle tenait ce jour-là précisément à faire le contraire de ce qui eût plu à Charny.

Elle lança au comte un regard de dédain, et s’apprêtait à lui répondre quelque désobligeante parole, lorsque l’arrêtant d’un geste respectueux :

— Par grâce ! dit-il. Madame, attendez au moins le conseil du roi.

Il croyait gagner du temps.

— Le roi ! le roi ! s’écrièrent plusieurs voix. Sa Majesté revient de la chasse !

C’était vrai.

Marie-Antoinette se lève, court à la rencontre du roi, encore botté, tout poudreux.

— Monsieur, lui dit-elle, il y a en bas un spectacle digne du roi de France. Venez ! venez !

Et elle lui prend le bras ; elle l’entraîne sans regarder Charny, qui enfonce dans sa poitrine des ongles furieux.