Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/425

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montaient à cheval froidement, et avec cette hésitation qui prend l’homme d’épée lorsqu’il comprend qu’il aura affaire à des ennemis dont l’attaque est inconnue.

Que faire contre des femmes qui sont parties menaçantes et avec des armes, mais qui arrivent désarmées et ne pouvant même plus lever les bras, tant elles sont lasses, tant elles ont faim !

Cependant, à tout hasard, ils prennent leurs rangs, tirent leurs sabres et attendent.

Enfin, les femmes paraissent ; elles arrivaient par deux routes. À moitié chemin, elles s’étaient séparées ; les unes avaient pris par Saint-Cloud, les autres par Sèvres.

Avant de se séparer, on avait partagé huit pains : c’était tout ce qu’on avait trouvé à Sèvres.

Trente-deux livres de pain pour sept mille personnes !

En arrivant à Versailles, à peine pouvaient-elles se traîner ; plus des trois quarts avaient semé leurs armes sur la route. Comme nous l’avons dit, Maillard avait obtenu du dernier quart qu’il laissât les siennes aux premières maisons de la ville.

Puis, en entrant dans la ville :

— Allons, dit-il, pour qu’on ne doute pas que nous soyons des amis de la royauté, chantons : Vive Henri IV !

Et, d’une voix mourante et qui avait à peine la force de demander du pain, elles entonnèrent le chant royal.

Aussi l’étonnement fut grand au palais, lorsqu’au lieu de cris et de menaces on entendit des chants, lorsqu’on vit surtout les chanteuses chancelantes, la faim ressemble à l’ivresse, venir colorer leurs visages hâves, pâles, livides, souillés, dégouttant d’eau et de sueur, des milliers de figures effrayantes, superposées, doublant à l’œil étonné le nombre des visages par le nombre des mains qui se crispent et s’agitent le long des barreaux dorés.

Puis de temps en temps, du sein de ces groupes fantastiques, s’échappaient de lugubres hurlements ; du milieu de ces figures agonisantes jaillissaient des éclairs.

De temps en temps encore, toutes ces mains abandonnent le barreau qui les soutenait, et, à travers les intervalles, s’allongent du côté du château.

Les unes, ouvertes et tremblantes, celles-là demandent ;

Les autres, crispées et tendues, celles-là menacent.

Oh ! le tableau était sombre.

La pluie et la boue, voilà pour le ciel et la terre.

La faim et la menace, voilà pour les assiégeants.

La pitié et le doute, voilà pour les défenseurs.