Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/443

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Le roi interrogea Gilbert, mais de l’œil seulement. Le roi alla droit à la fenêtre, l’ouvrit sans hésitation et parut sur le balcon.

Un grand cri, un cri unanime retentit.

— Vive le roi !

Puis un second cri suivit le premier.

— Le roi à Paris !

Puis, entre ces deux cris, les couvrant parfois, des voix formidables criaient :

— La reine ! la reine !

À ce cri, tout le monde frissonna ; le roi pâlit, Charny pâlit, Gilbert lui-même pâlit.

La reine releva la tête.

Pâle, elle aussi, les lèvres serrées, les sourcils froncés, elle se tenait près de la fenêtre. Madame Royale était appuyée à elle. Devant elle était le dauphin, et sur la tête blonde de l’enfant se crispait sa main blanche comme un marbre.

— La reine ! la reine ! continuèrent les voix devenant de plus en plus formidables. — Le peuple désire vous voir, Madame, dit Lafayette. — Oh ! n’y allez pas, ma mère ! dit madame Royale tout éplorée jetant son bras autour du cou de la reine.

La reine regarda Lafayette.

— Ne craignez rien. Madame, lui dit-il. — Eh quoi ! toute seule ! fit la reine.

Lafayette sourit, et respectueusement, avec ces manières charmantes qu’il avait conservées jusque dans sa vieillesse, il détacha les deux enfants de leur mère, et les poussa les premiers sur le balcon.

Puis, offrant la main à la reine :

— Que Votre Majesté daigne se fier à moi, dit-il, et je réponds de tout.

Et il conduisit à son tour la reine an balcon.

C’était un terrible spectacle et propre à donner le vertige que cette cour de marbre, transformée en une mer humaine, pleine de vagues hurlantes.

A la vue de la reine, un cri immense s’élança de toute cette foule, et l’on n’eût pu dire si c’était un cri de menace ou un cri de joie.

Lafayette baisa la main de la reine ; alors les applaudissements éclatèrent.

C’est que dans cette noble nation française, jusque dans les veines les plus roturières, il y a du sang de chevalier.

La reine respira.