Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/484

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autant d’empressement qu’elle en avait mis à venir au-devant de lui.

Le mouvement de Catherine avait été si rapide et si inattendu, que le pauvre Pitou était resté immobile, debout, à la même place, se haussant seulement sur la pointe des pieds pour voir de plus loin.

C’était bien loin pour voir.

Mais, s’il ne le vit pas, ce que Pitou sentit comme une commotion électrique, ce fut la joie et la rougeur de la jeune fille, ce fut le tressaillement qui agita tout son corps, ce fut le pétillement de ses yeux si doux, si calmes d’ordinaire, si étincelants alors.

Il ne vit pas non plus quel était ce cavalier au point de distinguer ses traits ; mais, reconnaissant à sa tournure, à sa redingote de chasse de velours vert, à son chapeau à large ganse, à son port de tête libre et gracieux, qu’il devait appartenir à la classe la plus élevée de la société. Son esprit se porta à l’instant même à ce beau jeune homme, à ce beau danseur de Villers-Cotterets. Son cœur, sa bouche, toutes les fibres de ses entrailles tressaillirent à la fois, murmurèrent le nom d’Isidore de Charny. C’était bien lui en effet.

Pitou poussa un soupir qui ressemblait à un rugissement, et, s’enfonçant de nouveau dans le fourré, il parvint jusqu’à la distance de vingt pas des deux jeunes gens, trop attentionnés alors l’un à l’autre pour s’inquiéter si le bruit qu’ils entendaient était causé par le fourragement d’un quadrupède ou d’un bipède.

Le jeune homme cependant se retourna du côté de Pitou, se haussa sur les étriers, et jeta un regard vague autour de lui.

Mais à l’instant même, pour échapper à l’investigation, Pitou s’aplatit le ventre et la face contre terre.

Puis, comme un serpent, il se glissa pendant l’espace de dix pas encore, et, arrivé à la portée de la voix, il écouta.

— Bonjour, monsieur Isidore, disait Catherine. — Monsieur Isidore ! murmura Pitou. Je le savais bien, moi.

Alors il sentit par toute sa personne l’immense fatigue de tout ce travail, que le doute, la défiance et la jalousie lui avaient fait faire depuis une heure.

Les deux jeunes gens, en face l’un de l’autre, avaient chacun de son côté lâché la bride et s’étaient pris les mains ; ils se tenaient debout, et frémissants, muets et souriants, tandis que les deux chevaux, habitués sans doute l’un à l’autre, se caressaient des naseaux et jouaient avec leurs pieds sur la mousse de la route.

— Vous êtes en retard aujourd’hui, monsieur Isidore, fit Catherine en rompant le silence. — Aujourd’hui ! fit Pitou ; il paraît que les autres jours il n’est pas en retard. — Ce n’est pas ma faute, chère Catherine, répliqua le jeune homme ; mais j’ai été retenu par une lettre de mon