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LXIII

PITOU CONSPIRATEUR


La plupart des choses qui arrivent à l’homme, et qui sont pour lui de grands bonheurs ou de grands honneurs, lui viennent presque toujours d’avoir beaucoup voulu, ou d’avoir beaucoup dédaigné.

Si l’on veut bien faire l’application de cette maxime aux événements et aux hommes de l’histoire, on verra qu’elle a non-seulement de la profondeur, mais encore de la vérité.

Nous nous contenterons, sans recourir aux preuves, de l’appliquer à Ange Pitou, notre homme et notre histoire.

En effet, Pitou, s’il nous est permis de faire quelques pas en arrière et de revenir sur la blessure qu’il avait reçue en plein cœur ; en effet, Pitou, après sa découverte sur la lisière de la forêt, s’était senti pris d’un grand dédain pour les choses de ce monde.

Lui qui avait espéré de faire fleurir dans son cœur cette plante précieuse et rare qu’on appelle l’amour ; lui qui était revenu dans son pays avec un casque et un sabre, fier d’associer Mars à Vénus, comme disait son illustre compatriote Demoustier, dans ses Lettres à Émilie sur la Mythologie, il se trouva bien penaud et bien malheureux de voir qu’il y avait à Villers-Cotterets et dans ses environs des amoureux de reste.

Lui qui avait pris une part si active dans la croisade des Parisiens contre les gentilshommes, il se trouvait bien petit en face de la noblesse campagnarde, représentée par monsieur Isidore de Charny.

Hélas ! un si beau garçon, un homme capable de plaire à la première vue, un cavalier qui portait une culotte de peau et une veste de velours !

Comment lutter avec un pareil homme !

Avec un homme qui avait des bottes à l’écuyère et des éperons à ses bottes ; avec un homme dont beaucoup de gens appelaient encore le frère monseigneur !

Comment lutter avec un homme pareil ! Comment n’avoir pas à la fois la honte et l’admiration, deux sentiments qui, au cœur du jaloux, sont un double supplice, si affreux que jamais on n’a su dire si un jaloux préfère un rival au-dessus ou au-dessous de lui !

Pitou connaissait donc la jalousie, plaie incurable, fertile en douleurs ignorées jusqu’alors du cœur naïf et honnête de notre héros ; la jalousie.