Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/519

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Cette fausseté, c’est de la diplomatie. Pitou, après s’être bien consulté, repassa dans sa tête toutes les histoires d’autrefois.

Il songea à Philippe de Macédoine, qui fit tant de faux serments et qu’on appelle un grand homme.

À Brutus, qui contrefit la brute pour endormir ses ennemis et qu’on appelle un grand homme.

À Thémistocle, qui passa sa vie à tromper ses concitoyens pour les servir et qu’on appelle aussi un grand homme.

Par contre, il se rappela Aristide, lequel n’admettait pas les moyens injustes, et qu’on appelle aussi un grand homme.

Cet argument l’embarrassa.

Mais il trouva, en réfléchissant, qu’Aristide était bien heureux de vivre dans un temps où les Perses étaient si stupides qu’on pût les vaincre avec de la bonne foi seulement.

Puis en réfléchissant encore, il songea qu’au bout du compte Aristide avait été exilé, et cet exil, tout injuste qu’il fût, fit pencher la balance en faveur de Philippe de Macédoine, de Brutus et de Thémistocle.

Passant aux exemples modernes, Pitou se demanda comment monsieur Gilbert, comment monsieur Bailly, comment monsieur Lameth, comment monsieur Barnave, comment monsieur de Mirabeau eussent fait s’ils eussent été Pitou, et que Louis XVI eût été l’abbé Fortier ?

Comment eût-on fait pour faire armer par le roi de trois à cinq cent mille gardes nationaux en France ?

Précisément le contraire de ce que Pitou avait fait.

On eût persuadé à Louis XVI que les Français ne désiraient rien tant que de sauver et de conserver le père des Français ; que pour le sauver efficacement, il fallait à ces Français de trois à cinq cent mille fusils.

Et assurément monsieur de Mirabeau eût réussi.

Pitou, songeant aussi à la chanson-proverbe qui dit :

Lorsqu’on veut quelque chose du Diable,
Il faut l’appeler monseigneur.

.

Il concluait de tout cela qu’il n’était, lui, Ange Pitou, qu’une quadruple brute, et que, pour retourner près de ses électeurs avec une sorte de gloire, il lui eût fallu faire précisément le contraire de ce qu’il avait fait.

Fouillant alors dans ce nouveau filon, Pitou résolut d’obtenir par la ruse ou par la force les armes qu’il s’était promis d’avoir par la persuasion.

Un moyen se présenta d’abord.

C’était la ruse.

On pouvait s’introduire dans le musée de l’abbé, et dérober ou enlever les armes de l’arsenal.