Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/530

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Or, qu’était-ce qu’un commandant de la garde nationale qui ne sait pas faire la charge en douze temps, et qui ne sait pas commander la manœuvre.

Celui qui écrit ces lignes n’en a connu qu’un seul : il est vrai qu’il était compatriote de Pitou.

Donc, la tête plongée dans les mains, l’œil hébété, le corps immobile, Pitou songeait.

Jamais César, dans les broussailles de la Gaule sauvage, jamais Annibal perdu dans les Alpes neigeuses, jamais Colomb égaré sur un océan inconnu, ne réfléchirent plus solennellement en face de l’inconnu, et ne vouèrent plus profondément leur pensée aux Dîs ignotis, ces terribles divinités qui ont le secret de la vie et de la mort, que ne le fit Pitou pendant cette longue journée.

— Oh ! disait Pitou, le temps marche, demain s’avance, et demain apparaîtra dans tout son néant, ce rien que je suis.

Demain, le foudre de guerre qui a pris la Bastille sera traité de crétin par l’assemblée entière des Haramontois, comme le fut… je ne sais plus qui, par l’assemblée entière des Grecs.

Demain hué ! quand aujourd’hui je suis un triomphateur !

Cela ne sera pas ; cela ne peut pas être. Catherine le saurait, et je serais déshonoré.

Pitou reprit un instant haleine.

— Qui peut me tirer de là ? se demanda -t-il. L’audace ? Non, non ; l’audace dure une minute, et l’exercice à la prussienne a douze temps.

Quelle singulière idée, aussi, d’apprendre l’exercice à la prussienne à des Français !

Si je disais que je suis trop bon patriote pour apprendre à des Français l’exercice à la prussienne, et que j’invente un autre exercice plus national ?

Non, je m’embrouillerais. J’ai bien vu un singe à la foire de Villers-Cotterets, ce singe faisait l’exercice ; mais il le faisait probablement comme un singe, sans régularité.

Ah ! s’écria-t-il tout à coup, une idée !

Et sur-le-champ, ouvrant le compas de ses longues jambes, il allait commencer de franchir l’espace, quand une réflexion l’arrêta.

— Ma disparition étonnerait, dit-il ; prévenons mes gens.

Alors, ouvrant la porte, et ayant mandé Claude et Désiré, il leur tint ce langage.

— Indiquez après-demain pour le premier jour d’exercice. — Mais pourquoi pas demain ? demandèrent les deux officiers inférieurs. — Parce