Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/74

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pitou regarda ses jambes, de l’air dont le cerf de la fable regarde les siennes.

— Qu’avez-vous donc ? monsieur Pitou, reprit Catherine.

Pitou ne répondit rien, et se contenta de pousser un soupir.

La partie était finie. Le vicomte de Charny profita de l’intervalle entre la partie finie et celle qui allait commencer, pour venir saluer Catherine. À mesure qu’il approchait, Pitou voyait le sang-monter au visage de la jeune fille, et sentait son bras devenir plus tremblant.

Le vicomte fit un signe de tête à Pitou, puis, avec cette politesse familière que savaient si bien prendre les nobles de cette époque avec les petites bourgeoises et les grisettes, il demanda à Catherine des nouvelles de sa santé et réclama la première contredanse. Catherine accepta. Un sourire fut le remerciement du jeune noble. La partie allait recommencer, on l’appela. Il salua Catherine, et s’éloigna avec la même aisance qu’il était venu.

Pitou sentit toute la supériorité qu’avait sur lui un homme qui parlait, souriait, s’approchait et s’éloignait de cette manière.

Un mois employé à tâcher d’imiter le mouvement simple de monsieur de Charny n’eût conduit Pitou qu’à une parodie dont il sentait lui-même tout le ridicule.

Si le cœur de Pitou eût connu la haine, il eût, à partir de ce moment, détesté le vicomte de Charny.

Catherine resta à regarder jouer de la paume jusqu’au moment où les joueurs appelèrent leurs domestiques pour passer leurs habits. Elle se dirigea alors vers la danse, au grand désespoir de Pitou, qui, ce jour-là, semblait destiné à aller contre sa volonté partout où il allait.

Monsieur de Charny ne se fit point attendre. Un léger changement dans sa toilette avait du joueur de paume fait un élégant danseur. Les violons donnèrent le signal, et il vint présenter sa main à Catherine, en lui rappelant la promesse qu’elle lui avait faite.

Ce qu’éprouva Pitou quand il sentit le bras de Catherine se détacher de son bras, et qu’il vit la jeune fille, toute rougissante, s’avancer dans le cercle avec son cavalier, fut peut-être une des sensations les plus désagréables de sa vie. Une sueur froide lui monta au front, un nuage lui passa sur les yeux ; il étendit la main et s’appuya sur la balustrade, car il sentit ses genoux, si solides qu’ils fussent, prêts à se dérober sous lui.

Quant à Catherine, elle semblait n’avoir, et n’avait même probablement aucune idée de ce qui se passait dans le cœur de Pitou ; elle était heureuse et fière tout à la fois : heureuse de danser, fière de danser avec le plus beau cavalier des environs.

Si Pitou avait été contraint d’admirer monsieur de Charny joueur de