Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sation tronquée, avaient jailli avec éclat les noms de tous ceux qui, en France, en Angleterre ou en Espagne, occupaient une haute position, soit dans la politique, soit dans l’aristocratie, soit dans les arts, accompagnés chacun d’une de ces remarques qui indiquent, d’un seul trait, que celui qui parle, parle avec une entière connaissance du caractère, du génie ou de la position des hommes qu’il vient de nommer.

Quoique ces bribes de conversation eussent, si l’on peut s’exprimer ainsi, passé par-dessus la tête du commun des convives, il y avait parmi les invités plusieurs hommes assez distingués pour comprendre la supériorité avec laquelle Georges avait effleuré toutes choses ; aussi, quoique le sentiment de répulsion qu’on avait manifesté pour le jeune mulâtre restât à peu près le même, l’étonnement avait grandi, et avec lui, dans le cœur de quelques-uns, la jalousie était entrée. Henri surtout, préoccupé de l’idée que Sara avait remarqué Georges plus que, dans sa position de fiancée et dans sa dignité de femme blanche, elle n’eût dû le faire, Henri se sentait remuer au fond du cœur un sentiment d’amertume dont il n’était pas le maître ; puis, au nom de Munier, ses souvenirs d’enfance s’étaient réveillés ; il s’était rappelé le jour où, en voulant arracher le drapeau des mains de Georges, son frère Jacques lui avait donné un si violent coup de poing au milieu du visage. Tous ces anciens méfaits des deux frères grondaient sourdement dans sa poitrine, et l’idée que Sara avait, la veille, été sauvée par ce même homme, au lieu d’effacer le murmure accusateur du passé, augmentait encore sa haine pour lui. Quant à monsieur de Malmédie père, il était resté pendant tout le dîner plongé, avec son voisin, dans une dissertation profonde sur une nouvelle manière de raffiner le sucre, qui devait donner au produit de ses terres un tiers de valeur de plus qu’elles n’avaient. Il en résulte que le premier étonnement de trouver dans Georges le sauveur de sa nièce, et de rencontrer Georges chez lord Murrey, passé, il n’avait plus fait attention à lui.

Mais, comme nous l’avons dit, il n’en était pas de même de Henri ; Henri n’avait pas perdu une parole des interpellations de lord Murrey et des réponses de Georges. Dans chacune de ses réponses, il avait reconnu un sens droit et une