Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/159

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loupes qui s’éloignèrent sur un ordre de lui et l’abandonnèrent sur le rivage.

Le capitaine les suivit quelque temps des yeux, puis, lorsqu’elles furent hors de la portée du regard et de la voix, il se retourna vers les mulâtres étonnés, s’avança vers eux, et leur tendant la main à tous deux :

— Bonjour, père ; bonjour, frère, dit-il ; puis, comme ils hésitaient :

— Eh bien ! ajouta-t-il, ne reconnaissez-vous pas votre Jacques ? »

Tous deux jetèrent un cri de surprise et lui tendirent les bras. Jacques se précipita dans ceux de son père ; puis des bras de son père, il passa dans ceux de Georges ; après quoi Télémaque eut aussi son tour, quoique, il faut le dire, ce ne fût qu’en tremblant qu’il osât toucher les mains d’un négrier.

En effet, par une coïncidence étrange, le hasard réunissait dans la même famille l’homme qui avait toute sa vie plié sous le préjugé de la couleur, l’homme qui faisait sa fortune en l’exploitant, et l’homme qui était prêt à risquer sa vie pour le combattre.


XIV.

PHILOSOPHIE NÉGRIÈRE.


Cet homme, c’était effectivement Jacques, Jacques que son père n’avait pas vu depuis quatorze ans, et son frère, depuis douze.

Jacques, comme nous l’avons dit, était parti à bord d’un de ces corsaires qui, munis de lettres de marque de la France, sortaient à cette époque tout à coup de nos ports, comme des aigles de leurs aires, et couraient sus aux Anglais.

C’était une rude école que celle-là et qui valait bien celle de la marine impériale qui, à cette époque, bloquée dans nos