Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/192

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On sait que la grande famille mahométane est divisée en deux sectes, non-seulement différentes, mais encore ennemies, la sunnite et la schyite. L’une, à laquelle se rattachent les populations arabes et turques, reconnaît Abou-Beker, Omar et Osman pour les successeurs légitimes de Mahomet ; l’autre, que suivent les Persans et les musulmans indiens, regarde les trois califes comme des usurpateurs, et prétend qu’Ali, gendre et ministre du prophète, avait seul droit à son héritage politique et religieux. Dans le courant des longues guerres que se firent les prétendants, Hoseïn, fils d’Ali, fut atteint près de la ville de Kerbela, par une troupe de soldats qu’Omar avait envoyés à sa poursuite ; et le jeune prince et soixante de ses parents qui l’accompagnaient furent massacrés après une défense héroïque.

C’est l’anniversaire de cet événement néfaste que célèbrent tous les ans par une fête solennelle les Indiens mahométans : cette fête est appelée Yamsé, par corruption des cris de : Ya Hoseïn ! ô Hoseïn ! que les Persans répètent en chœur. Ils ont, au reste, transformé la fête comme le nom, en y mêlant des usages de leur pays natal et des cérémonies de leur ancienne religion.

Or, c’était le lundi suivant, jour de la pleine lune, que les Lascars, qui représentent à l’Île de France les schyits indiens, devaient, selon leur coutume, célébrer le Yamsé, et donner à la colonie le spectacle de cette étrange cérémonie, attendue avec plus de curiosité encore cette année-là que les précédentes.

En effet, une circonstance inaccoutumée devait rendre cette fois la fête plus magnifique qu’elle n’avait jamais été ; les Lascars sont divisés en deux bandes, les Lascars de mer et les Lascars de terre, qu’on reconnaît, les Lascars de mer à leurs robes vertes, et les Lascars de terre à leurs robes blanches. Ordinairement chaque bande célèbre la fête de son côté avec le plus de luxe et d’éclat possible, cherchant à éclipser sa rivale : il en résulte une émulation qui se résume en disputes, et des disputes qui dégénèrent en rixes ; les Lascars de mer, plus pauvres mais plus braves que ceux de terre, se vengent souvent à coups de bâton et parfois même à coups de sabre, de la supériorité financière de leurs adver-