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Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/219

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arabe et zanguebar, je n’étais donc pas né pour être esclave.

Georges sourit de l’orgueil du nègre, sans songer que cet orgueil était le frère cadet du sien.

Le nègre continua sans voir ou sans remarquer ce sourire.

— Le chef de Querimbo m’a pris dans une guerre et m’a vendu à un négrier, qui m’a vendu à monsieur de Malmédie. J’ai offert, si l’on voulait envoyer un esclave à Anjouan, de me racheter pour vingt livres de poudre d’or. On n’a pas cru à la parole d’un nègre, on m’a refusé. J’ai insisté quelque temps, puis… il s’est fait un changement dans ma vie, et je n’ai plus pensé à partir.

— Monsieur de Malmédie t’a traité comme tu méritais de l’être ? demanda Georges.

— Non, ce n’est pas cela, répondit le nègre.

Trois ans après, mon frère Nazim fut pris à son tour et vendu comme moi, et par bonheur au même maître que moi ; mais, n’ayant pas les mêmes raisons que moi pour rester ici, il a voulu fuir. Tu sais le reste, puisque tu l’as sauvé. J’aimais mon frère comme mon enfant, et toi, continua le nègre en croisant ses mains sur sa poitrine et en s’inclinant, je t’aime maintenant comme mon père. Or, voilà ce qui se passe ; écoute, cela t’intéresse comme nous. Nous sommes ici quatre-vingt mille hommes de couleur et vingt mille blancs.

— Je les ai comptés déjà, dit Georges en souriant.

— Je m’en doutais, répondit Laïza. Sur ces quatre-vingt mille, vingt mille au moins sont en état de porter les armes ; tandis que les blancs, y compris les huit cents soldats anglais en garnison, peuvent à peine réunir quatre mille hommes.

— Je le sais encore, dit Georges.

— Eh bien ! devinez-vous ? demanda Laïza.

— J’attends que tu t’expliques.

— Nous sommes décidés à nous débarrasser des blancs. Nous avons assez souffert pour avoir, Dieu merci ! le droit de nous venger.

— Eh bien ? demanda Georges.

— Eh bien ! nous sommes prêts, répondit Laïza,

— Qui vous arrête alors, et pourquoi ne vous vengez-vous pas ?